UNIVERSITÉ SAINT-JOSEPH
FACULTÉ DE SCIENCES RELIGIEUSES
BEYROUTH – LIBAN
Mars - Juin 1978
LA MORT: passage ou limite
Par le Père André SCRIMA
N.B. - Le texte de ce cours a été rédigé d’après des notes d’Étudiants. Il est destiné à l’usage exclusif des auditeurs et toute autre utilisation en est formellement interdite.
Le professeur en charge du cours n’ayant pas lu, révisé ou corrigé - que ce soit dans son ensemble ou dans ses différents paragraphes - le présent texte, sa responsabilité ne saurait être engagée à aucun titre.
Université Saint Joseph
FACULTE DE SCIENCES RELIGIEUSES
Cours du P. André SCRIMA
6 Mars – 26 Mai 1978
(les lundis, 16 – 18 h.)
LA MORT: passage ou limite?
Eléments de réflexion proposés par l’"étude
comparée des religions et la pensée modern,
face à la foi chrétienne."
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1. Que dire? - |
Le paradoxe invincible: tout discours sur la mort est le fait des vivants... La mort comme absence absolue de la parole. Sens et non-sens d’un langage "devant la mort". |
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2. Qui meurt? - |
La mort, évènement qui arrive toujours "aux autres". Le "je vis", seule affirmation souveraine d’un "moi" périssable. Situer la mort dans la destinée de l’homme et la destinée de l’homme dans la mort. |
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3. Itinéraire dans l’absence. - |
La pensée occidentale et la mort. Evolution et tournants. Les grands axes de l’interrogation. |
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4. Le point nul. - |
Force et faiblesse de la mort. Le "passage de la mort": la mort et le divin. La mort comme "éxperience" et les questions de l’au-delà. Perspectives ouvertes par l’étude comparée des religions. |
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5. Un rien d’oublie... - |
Organiser l’oubli de la mort. La civilisation scientifique: "pleins pouvoirs (de) (sur) la vie" et les ruses de la mort. |
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6. Le "Tombeau vide". - |
La Résurrection: la mort prise au sérieux par Dieu. Le Christ, parole de Vivant. |
6 Mars 1976
La mort: Passage ou Limite?
Première Approche du titre
Essayons de nous mettre ensemble devant notre thème: peut-être risque-t-en de devenir quelque peu lugubre ou, pour moi, de me trahir en tant qu’adepte de l"’humeur noir"… mais c’est surtout pour nous mettre "en condition", nous "sensibiliser" non pas à l’objet que nous allons étudier mais, tout simplement, à la manière de le traiter.. et ceci, en étudiant ensemble les thèmes tels qu’ils sent inscrits dans le programme analytique du cours... Essayons de les passer en revue et d’entrer en jeu dès maintenant afin qu’avoir, non pas une idée au sens intellectuel du terme (une connaissance) mais de percevoir au-delà de ce qui est déjà dit, l’Horizon d’ensemble où nous essayons de nous "situer" et de nous acheminer… (Cet horizon est plus ou moins circonscrit et tracé dans la petite feuille/programme) Ainsi, nous pourrons nous guider et suivre de façon plus nette et plus claire l’itinéraire que nous nous sommes proposés... savoir où nous en sommes à chaque instant et quelle sera la prochaine étape.
Le thème tel qu’il nous a été présenté et soumis par cette respectable institution qu’est l’Université s’intitule:
La mort: passage ou limite ?
avec un petit paragraphe qui le clarifie et le circonscrit à la fois …
Éléments de réflexion proposés par l’étude comparée des religions et la pensée moderne face à la foi chrétienne.
Ceci pourrait sembler quelque peu prétentieux mais je ne le pense pas... Ce pourrait l’être si nous n’étions pas conscients des limites que nous serons volontairement obligés de reconnaître et d’assigner à notre thème! C’est, pour plusieurs raisons, un thème inépuisable... nous n’aurons donc nullement l’intention de l’épuiser mais, tout simplement, de le signaler, de le situer, de lui faire une place dans la réflexion, dans une connaissance systématisée afin de le rendre partie non uniquement de la connaissance en tant qu’idée, mais également d’une certaine sensibilité existentielle, capable d’évoquer, d’ouvrir un au-delà de ce que nous sommes en train de dire... donc, ce que nous dirons ne sera jamais un arrêt... une chose définitivement close, parce que dite d’une façon intellectuellement limitée... mais autant que possible - c’est d’ailleurs méthode logiquement la raison de cette première rencontre - de laisser s’établir, quelque part en nous: l’écho! Or, vous le savez, l’écho se répète: le véritable écho ne disparaît pas... il s’efface dans un lointain qui "s’ouvre" par lui. Vous avez tous fait des expériences de l’écho, n’est-ce pas? Elles sent très impressionnantes, troublantes même: si en fait attention dans un endroit désert ou dans un endroit immense, ouvert largement il y a un vide qui, soudainement se remplit: de quoi? Non pas de ma voix, à moi, mais de l’écho de ma voix, autrement dit de cette résonance de tout le paysage! Alors, de la même façon, l’écho de ce que nous sommes en train d’étudier, au-delà de l’idée et des paroles que nous employons se prolonge, peut-être quelque part, en nous, pendant un temps qui ne dépendra pas nécessairement de nous-mêmes …
L’élément de réflexion dans ce sens est proposé par l’Étude comparée des Religions. Pourquoi?
Du point de vue culturel et du point de vue de l’Histoire des idées, le premier lieu où la réflexion sur la mort a surgi c’est l’Histoire des Religions.
André Malraux disait quelque part: (ce n’est pas nécessairement une autorité suprême, mais cela fait quand même une référence!) "Là où il y a le tombeau, il y a la Religion".
Pour un archéologue, pour un historien, autrement dit pour un "homme de connaissance pratique et matérielle", la découverte du tombeau dans une couche lointaine de l’Histoire et donc, dans la mémoire de l’être humain, de l’humanité qui pourrait paraît-il, d’après toutes dernières recherches (j’entends le tombeau et non les fossiles, les vestiges dispersés et pas encore repérables de l’être humain!) remonter au-delà de 150.000 à 200.000 ans... Le tombeau est ainsi ce lieu funèbre où l’homme inscrit peut-être la première réflexion sur son propre mystère: Voilà pourquoi nous nous référons d’abord obligatoirement à l’étude comparée de l’Histoire des Religions... on ne peut approcher ce thème de la mort sans rencontrer obligatoirement, au point de départ, ce secteur de la culture de l’Homme (je ne parle pas de la Religion en tant que foi!). Faut-il souligner ce point? Conformément aux règles de cette Faculté des Sciences Religieuses, nous sommes en train de faire une œuvre de connaissance des sciences religieuses et philosophiques... nous ne faisons pas un cours qui présupposerait une sorte de foi déjà imposée et dogmatique... Chacun d’entre nous l’a: mais ce n’est pas cela que nous allons étudier dès le début... nous faisons une œuvre de recherche objective sous le signe des sciences religieuses...
Chaque fois que l’expérience religieuse de l’être humain s’est manifestée quelque part sous une forme quelconque: elle nous parle, elle nous concerne dans la mesure où elle peut éclairer notre sujet: ce n’est pas un cours de théologie - bien que l’Horizon ultime soit la théologie – mai nous sommes en train de l’approfondir au long de notre parcours …
Alors, l’étude comparée des religions est pour nous une référence obligée parce que là où il y a le tombeau dans l’Histoire de l’Homme, il y a un certain rapport avec la mort... et, ce rapport, n’est pas indifférent: il est, au contraire, la source la plus lourde de sens puisqu’elle signifie que, quelque part, quelqu’un a "creusé" ou a fait un signe, ou a organisé un espace qui s’appelle l’urne (l’urne funéraire où l’en dépose les cendres, selon certaines religions pratiquant l’incinération).
Mais, si je réfléchis sur ce signe ou sur ce lieu que nous appelons tombeau (pour faire court) je vois que ce lieu qui est délimité, clos, à la fois dans l’espace et dans le temps puisque dans la suite des années et des siècles et des millénaires, ce lieu reste protégé, fermé... marque la première et la plus terrible ouverture que l’homme ait réussi à faire vers la transcendance. Là où il y a le tombeau, il y a la religion parce que ce signe, ce fossé, signifie la sortie... Je parle en essayant de rendre sensible la signification inscrite par l’Homme que nous appelons préhistorique ou primitif, sur ce qu’il a voulu faire en creusant un tombeau ou en déposant une urne funéraire: il avait atteint le terme de lui-même, de son être... sous la forme de celui qui lui était le plus proche mais, en faisant ceci, en gardant les traces de celui qui, désormais, est pure absence, il faisait un défi à cette absence: il voulait en garder encore la présence sous la forme de tombeau, et de tombeau le plus durable possible... Qu’est-ce que cela signifie?
Le tombeau marque la distance entre ce qui est monde et ce qui est "non-monde", "autre monde", par où peut s’engouffrer toute ma vie et par où je peux éventuellement échapper à ce monde ici... Et c’est parce que je veux échapper à ce monde-ci que je creuse le tombeau, comme une sorte de repère, de jalon.
A l’autre bout de l’histoire, celle où nous vivons aujourd’hui, notre réflexe et notre comportement sent contraires: il faut effacer le tombeau et effacer tout ce qui pourrait signifier la fin imminente, déjà là... et donc, tout ce qui pourrait troubler ce monde en lui-même. Ce que je dis est surtout vérifié dans les civilisations techniques de l’Extrême Occident (E.U.). La civilisation occidentale depuis à peu près les années 20, lorsque la civilisation technologique, industrielle, scientifique, s’est bien assise dans notre comportement et notre sensibilité a commencé par se sentir secrètement irritée centre la mort qui était un scandale, une sorte d’obscénité... La mort est, en quelque sorte pour le monde ob-scène (ce qui ne se représente pas sur la scène...). Dans le théâtre antique, il y avait des choses qu’en pouvait représenter sur la scène... et ob veut dire: en dehors, à coté... La mort, donc secrètement est obscène: elle n’a pas une place sur la scène de notre vie puisqu’elle fait "impoli", "discourtois"… elle remet en question mon type de civilisation l’espoir que j’ai investi dans mon pouvoir, dans mon avoir, dans ma vision du monde tel qu’il est autour de moi et tel que je voudrais le faire!
Donc, le tombeau, les rites funéraires, les signes du décès, de l’inscription de la mort sent juste le contraire de ce qu’ils étaient tout au début de notre histoire: autant le tombeau représentait un lieu de gravité et de libération vers un mystère de l’au delà. (C’était comme une flèche indicative) autant, aujourd’hui, le tombeau devrait s’aplatir, devenir quelque chose de familier pour l’empêcher d’être obscène. Un film de Stanley Coubray, datant de quelque 8 ans (notre bien aimé) relate le récit tout de suite livré par sa famille aux Pompes funèbres qui le placent à la maison où il n’a plus sa place (ne pas prendre cela comme une critique!). Malraux disait: "La civilisation égyptienne avec ses pyramides a inventé le tombeau".
Notre civilisation préhistorique, en Occident, avec son silex taillé, a invente le pic: "ce qui doit participer à une action"… Or, le mort n’a plus de place dans l’action, il est inutile, il ne peut plus être un élément de circulation et de participation à l’activité …
Tout ceci n’est pas nécessairement conscient mais commence à percer dans la conscience aujourd’hui... et voilà pourquoi, cette piste de "l’étude comparée des religions" n’est pas seulement obligatoire mais extrêmement révélant lorsqu’en veut traiter du thème de la mort puisque c’est autour d’elle que la mort inscrit sa trace et peut-être nous fait des signes énigmatiques en nous donnant quelque chose à penser …
La pensée moderne, face à la foi chrétienne, correspond-elle à quelque chose d’aussi précis? Oui et non! D’ailleurs, nous n’allons pas prétendre l’épuiser, la parcourir totalement... La pensée moderne est ce qui continue à nous remodeler, à nous impressionner, à mettre son structures qui constituent l’univers (dans le double sens du terme) de l’homme d’aujourd’hui: écoles, langages, moyens de communication, évènements... et, au delà de tout cela ou, plus exactement, à l’intérieur de tout cela, un certain sens des choses qui, petit à petit, se met en place et qui est en train de se mettre en place: c’est cela la pensée moderne... Mais celle-ci est instrumentée par certains éléments précis comme, par exemple, la pensée ou l’effort scientifique, l’idéologie socio-politique et, également, la manipulation technologique... Or, à tous ces niveaux, il y aune certaine idée sur la mort... Un seul exemple: il y a, actuellement aux États Unis et en Europe Occidentale une sorte de remise en question, de révolte, contre la pratique médicale face à la mort... le fait qu’en rossent une sorte de malaise devant la tradition depuis longtemps établie en Occident, de faire de la mort de quelqu’un une affaire pure médicale. En effet, à l’Hôpital, entouré d’un corps médical qui est un corps de "techniciens" ne voyant que le "mal" (j’entends la maladie) à l’intérieur d’un être qui disparaît en tant qu’être personnel, ce n’est plus la personne qui meurt! Je l’ai constaté à Chicago en 1970 où j’ai vu le tanatologiste (le "spécialiste" de la mort) qui avait pour mission de surveiller l’appareil médical (électrocardio, encéphalo... respiration, perfusion) qui enveloppait un corps dont je ne voyais que la maladie, isolée en elle-même, une abstraction devenue vraie... Il n’y avait plus un malade, des malades... il n’y avait plus que des maladies qui s’inscrivaient sur des corps quelconques, lesquels étaient interchangeables... En effet, aujourd’hui c’était John, après-demain c’était Mary... n’importe qui, en somme: c’était la maladie qui était permanente et qui se promenait de John à Mary avec des conditions différentes... Puis, lorsqu’en se rendait compte par des critères purement technico-médicaux, qu’il n’y avait plus "rien à faire", le tanatologiste décidait l’arrêt: D R S (débranchez, déconnectez !…).
Il y a, depuis quelque temps, un regain de conscience et donc de protestation qui est très forte, qui va jusqu’à des manifestations, jusqu’à demandes de modifications de la législation, pour
restituer à la mort son visage humain et
restituer au visage humain du mort son caractère mystérieux, personnel,
et l’arracher à l’appareil impersonnel de la technique à ce moment précis
(Un livre à signaler: "Laissez-nous notre mort"… ma mort et mon parent mort!)
Nous recommençons sans cesse la pensée dans l’histoire de l’Homme et c’est pour cela, qu’en parlant de la pensée moderne, nous allons également remonter un peu jusqu’aux origines de cette pensée moderne et suivre son parcours... Ce qui nous amènera inévitablement à faire un peu l’Historique de la réflexion sur la mort dans la pensée philosophique occidentale... Pourquoi ne pas le dire? Nous faisons tout ceci, face à la foi chrétienne parce qu’il y en a parmi nous qui vivent de cette foi et laissent creuser en eux un renouveau de vie, d’interrogation, d’aspiration vers l’au-delà: c’est une question personnelle mais qu’en peut partager... en ne peut pas avoir la foi, seul... sans doute, il faut être discret mais, être discret ne veut pas dire coupé, isolé... Cependant, la raison unique qui nous fait avoir recours ici, dans notre cours, à la foi chrétienne c’est parce que - qu’en le veuille ou non - le problème de la mort dans la conscience de l’Homme et dans son histoire socio-culturelle (nous parlons objectivement!) a été radicalement renversé et posé à nouveau par la révélation chrétienne, le message christique.
Même ceux qui l’ignorent, en quelque sorte, à l’heure actuelle de l’Histoire ne peuvent plus approcher ce lieu, limite de la mort sans une référence à la manière dont le Christ l’a affrontée: le problème de la mort a, quelque part, pour l’Homme, le visage du Christ!
Prenons maintenant, très rapidement, un à un, les thèmes de notre cours.
I. Que dire ?
Le paradoxe invincible: tout discours sur la mort est le fait des vivants... La mort comme absence absolue de la parole. Sens et non sens d’un langage "devant la mort".
Pourquoi cette première formulation? Soyons à l’écoute!
C’est une interpellation, une interjection comme disent les grammairiens et parfois les juristes encore plus exigeants que nous... ou, tout simplement, une exclamation: que dire! Que passe-t-il dans cette expression et que se passe-t-il avec elle?
1. Eh bien, il y a d’abord, dans ces: Que dire? comme un soupçon d’embarras. Quand je suis embarrassé, je me sens comme interdit dans le double sens du terme:
interdiction = vous n’avez pas le droit d’aller au-delà
interdit = vous ne pouvez plus parler: ce n’est pas un "dit",c’est un "interdit" !
Donc, il y a une nuance d’embarras: Que dire ??
2. Il y a, peut-être, une autre nuance: celle d’une perplexité... celle ci étant, non pas un embarras mais une sorte de suspension de l’acte de la connaissance, du raisonnement avant que de l’élucider. je suis perplexe tant que la situation n’est pas claire.
Il y a encore une autre nuance: deux étant de l’ordre de la connaissance, deux autres dans l’ordre éthique ou existentiel …
3. N’y a-t-il pas le soupir ou la reconnaissance implicite d’une impuissance; je n’y peux rien car, si je pouvais quelque chose, ce pouvoir s’exprimerait et, toute expression (parole, geste) est un langage: je peux dire, donc, je peux faire quelque chose: Que dire? C’est une impuissance.
4. Il y aurait enfin une 4ème nuance... très probablement, comme un effleurement de résignation... je me résigne: que faire? que dire? Puisque je n’y peux rien, je ne peux que me résigner en acceptant mon impuissance et la cause ou le fait brut, massif, opaque, objectif, impénétrable qui la provoque, la signifie!... Je me résigne!
Il y a tout cela dans ces deux mets que nous avons choisis comme exergue. Mais il n’y a pas que cela! Et c’est ici le paradoxe invincible …
Lorsque je dis "Que dire?" en reconnaissant implicitement ou explicitement mon impuissance, mon incapacité, ma perplexité et finalement ma résignation, ne suis-je pas précisément en train de reprendre la parole à l’intérieur de cette perplexité, de cette impuissance, de cette résignation... et de donner une augmentation nouvelle à cette parole impossible parce que je ne peux pas dire la mort: la mort n’est pas un objet. Les psychologues (ceux des "profondeurs" notamment) disent: il y a dans l’être humain, même à son niveau microbiologique (dans les gênes) inscrites en puissance (et cela n’a rien à voir avec la conception matérialiste ou spiritualiste) toutes les expériences potentiellement accessibles à l’homme... nous héritons chacun d’entre nous et nous transmettons plus loin, à partir du niveau primordial de l’existence biologique que sent les gênes, le c o d e, la totalité du langage possible de l’expérience de l’être... sans doute, ce n’est pas actualisé... Je dois l’actualiser au cours de mon existence individuelle. Bien sûr, j’ai plus ou moins hérité de la "bosse" des Maths mais je dois l’actualiser en faisant des exercices... Tout est possible virtuellement à l’homme parce qu’il a potentiellement hérité de ce "code de l’être". Il n’y a qu’une seule expérience que je ne peux pas me représenter: c’est celle de la mort! (ce n’est pas une plaisanterie!)
Pour avoir l’expérience de la mort, je devrais avoir des parents, des géniteurs morts qui m’eussent transmis ce sens de la mort.
Ainsi, lorsque nous parlons de la mort, nous sommes sans cesse distendus, déchirés, entre une extrême gravité: "Que dire ?"… si on est vraiment sérieux, on ne peut parler que de ce dont on peut parler... qui entre dans mon langage... mon expérience... et une certaine légèreté, frivolité: le vivant lance un défi: "tant que je suis vivant, mort, je n’ai rien à voir avec toi".
La représentation de la Mort dans un langage est également distendue entre ces deux pôles: une extrême gravité qui ne peut que suggérer le silence, la majesté, le mystère et l’autre extrême: la frivolité ou, si vous voulez même comme dans l’art flamand, une sorte de représentation truculente dont le sens est de conjurer l’angoisse de la mort et de lui lancer un défi en disant: "moi, le Vivant... je n’ai rien à faire avec toi!... Tant que je suis vivant, tu ne peux rien centre moi!".
Donc, nous allons être poliment et décemment "frivoles" dans notre cours, sous cette forme-là, inévitablement! D’où également cette précision dans l’explicitation du leur titre: sens et non-sens d’un langage de la mort; puisque ce n’est jamais jamais la mort qui me parle: je poux, en effet, faire à tout chose une place significative dans mon langage: ce morceau de craie ne me parle pas mais... il est parlant puis-que je le nomme; il me dit tout: sa forme, sa composition chimique, sa fonction... Même un objet inanimé me parle: la mort ne me parle pas, c’est moi qui essaie de parler sur elle... Alors, si c’est ainsi 1ère question par laquelle je puisse éventuellement faire parler la mort c’est:
Qui meurt?
La mort, événement qui arrive toujours "aux autres". Le "je vis", seule affirmation souveraine d’un "moi" périssable. Situer la mort dans la destinée de l’Homme et la destinée de l’Homme dans la mort.
Ainsi! "Qui meurt"? Jamais moi! La mort n’advient qu’aux autres. Mais alors, peut-être que, dans ce jeu avec la mort où j’ai l’air de toujours lui échapper... puisque, tant que je suis là, elle est totalement absente, je ne peux pas "composer" avec elle, "être ensemble"! C’est elle ou moi! Dans ce pari (il y a toujours dans un pari un perdant et un gagnant!) où, apparemment parce que je le fais, je le tiens (je suis vivant) dans ce pari, la mort est perdante (ne suis-je pas là ?) mais, finalement, puisque je ne peux pas avoir la mort c’est la mort qui m’a! Dès que je voudrais la rencontrer c’est elle qui m’abolit... donc, à ce moment-là, je suis perdant!... Mais, s’il en est ainsi, ne dois-je pas à la mort un enrichissement, une dilatation, une expression de mon "moi" vers l’autre... Inconsciemment, secrètement (sauf, bien sûr, pour les philosophes et les sages pour qui il n’y a pas de secrets... du moins, ils le pensent!) mon ouverture vers l’autre est une sorte de mort à moi-même et dans ce jeu de cache-cache avec la mort où j’ai l’air d’être toujours le "perdant" je gagne, face à la mort, ce dépassement de mon égoïsme, de mon "moi" parce que, celui qui meurt: c’est toujours à côté de moi qu’il meurt et il me fait signe, il meurt à ma place: "je ne veux pas mourir!". Comme disait Pascal: "Je sais que je meurs mais je ne crois pas!". Je sais: c’est un acte de savoir mais celui qui meurt me donne le sens de la mort, la possibilité de parler d’elle... La mort n’est jamais une question individuelle ou même une question empirique, c’est une question qui concerne toute la destinée humaine. Il faut situer la destinée humaine face à la mort et la mort dans la destinée humaine. On peut remarquer que toute la destinée humaine n’est pas concernée par la claudication un accident fatal ou une menace irrémissible sur la destinée humaine …
Même cas pour une autre anomalie: l’astigmatisme... Il y a quelques centaines quelques milliers d’individus qui en sent atteints... Pour ceux qui meurent, ce n’est pas une question de statistique, mais une question de destinée de l’Humanité tout entière... que je ressens par cette mort à moi-même en m’ouvrant à la destinée de mon prochain qui meurt à coté de moi, à ma place... Je meurs peut-être avec lui?? Si c’est ainsi, mettons-nous en route précisément vers cette interrogation que nous avons intitulée:
3. Itinéraire dans l’absence
La pensée occidentale et la mort. Evolution et tournants. Les grands axes de l’interrogation.
La pensée est une sorte de mouvement souvent laborieux, heurté, suspendu, interrompu... où je prends en charge une partie du sens qui revient à l’Homme... en pense toujours pour élucider le sens ultime (je ne pense pas à la pensée insignifiante ex: je pense que je vais dîner, ce soir, d’un sandwich... cela n’est pas très profond: "à peine si j’y pense" comme en dit très bien!). Nous parlons donc de cette pensée qui est une "prise en charge" dramatique, un corps à corps de l’être humain avec le sens ultime: c’est le combat dans la nuit avec l’Ange ou j’essaie de lui arracher une bénédiction (Jacob: "je ne te laisserai pas que tu ne m’aies béni!") bene dicere = dire de la façon juste, donner le sens, révéler... sans le sens, c’est l’absurdité, la nuit sans bénédiction, le royaume de la mort... Quelle grandeur dans la pensée humaine!
La pensée occidentale s’est mise en route lorsqu’il y a eu, non plus l’acceptation pure et simple, mais le questionnement, la maïeutique. Socrate, Platon se sent mis à questionner, dans la nuit les choses, les êtres, les dieux... et tout ce questionnement, au fond, a été mis en mouvement par cette interrogation sur le sens de l’être et du non-être …
Le philosophe Plotin d’Alexandrie disait "Un dernier et grand combat attend les âmes"... La philosophie est née et parcourue essentiellement par ce "combat" qui s’exprime en termes de vie et de mort être et non-être, sens ou non-sens... contrairement à ce que représente la démarche positive, sinon positiviste de l’action, du faire qui est la démarche technico-scientifique... Or, le "faire" a besoin d’un "plein", d’un très "plein"… je ne peux agir dans le vide: j’ai besoin de faire des spaghettis, je ne prends pas le "vide"! Vous connaissez la plaisanterie: "comment fait-on un canon?. "On prend le vide... pour tourner autour de l’acier", le "trop plein" et c’est dans le "trop plein" que je creuse …
L’action a donc besoin du "plein" de la matière, de la présence que ce soit présence matérielle, technico-scientifique ou présence intellectuelle (mathématique, physique, chimique etc)…
Le propre de la philosophie, sa grandeur et ses limites c’est qu’elle peut également s’acheminer dans l’absence... c’est pour cela que nous avons appelé ce 3ème point
Itinéraire dans l’absence...
puisque, la mort est, par excellence, l’absence, non l’absence de quelque chose qui a été mais l’absence menaçant toute chose qui est ...
La pensée réflexive en Occident s’achemine également dans l’absence de la mort, sans cesse relayant cette question posée à l’absent:
"Qui es-tu?" "Que me veux-tu?" "Que dire de toi?"... nous allons prendre, à partir de la philosophie grecque les grands axes de l’interrogation en finissant avec les grands penseurs de l’époque contemporaine.
4. Le point nul
Force et faiblesse de la mort. Le "passage de la mort": la mort et le divin. La mort comme "expérience" et les questions de l’au-delà. Perspectives ouvertes par l’étude comparée des religions.
Ce 4ème point sera situé sous le signe de la révélation ou de l’interrogation religieuse, spirituelle, mystique: la seule qui puisse prendre la mort de deux côtés, de l’en-deçà) (où nous sommes) et de son au-delà, a tel point que la mort, en elle même, s’avère comme un point nul: elle n’a pas de consistance: la mort est un point nul!
"Elle a une force immense, puisque rien de ce qui est ne lui résiste; elle a aussi une faiblesse totale, infinie, face à moi qui suis au-delà le seul qui puisse juger vivants et morts: Dieu!". Et c’est uniquement dans cette perspective qu’en peut parler de la mort comme expérience et non comme phénomène qui arrive toujours à l’autrui et jamais épuisable.
Expérience = ce qui me met à l’éprouve et ce que je peux mettre à l’épreuve, vérifier... Une expérience réussit si elle vérifie ce que j’avais appris des expériences antérieures.
Exemple: la découverte de la poudre à canon... cela a entraîné des explosions, des morts, des blessées... tout ceci s’inscrivait quelque part, j’étais mis à l’épreuve, moi, sujet connaissant, jusqu’au moment où j’ai réussi à vérifier tout ce que j’avais connu et compris et faire de la vraie poudre à canon "pour le bonheur éternel de l’Humanité"!
Pour que je puisse avoir l’expérience de la mort, il faudrait qu’elle se constituât objet - expérience et moi sujet de cette expérience. Or, comment cela pourrait-il être? Je suis dans cette situation paradoxale où le sujet n’a pas d’objet: il est lui-même, le sujet, sous la menace de son objet de mon expérience qui est mort-objet et moi, qui suis le seul sujet, je suis à chaque instant menacé, mis en question, et menacé par le non-être de mon objet qui est la mort: donc je ne peux avoir une expérience digne de ce nom, conforme aux normes …
Mais voici que sous l’invocation du spirituel, du mystère, du religieux, de Dieu: la mort elle-même est révélée dans son inconsistance, dans sa faiblesse, dans son point nul: elle n’est plus pour moi l’inabordable, l’opacité, le noir absolu, l’"interdit"... elle est, au plus, un mystère ou je peux pénétrer, me laisser guider: d’où, toutes les questions très importantes sur la représentation de l’au-delà dans les grandes traditions religieuses pour essayer d’en extraire le sens... nous nous référerons à quelque grande témoins de la connaissance ultime dans les lettres ou même les œuvres d’art …
Léon Chestov, dans une livre sur Dostoïevski et Nietzsche ("Les Révélations de la mort") raconte que Dostoïevski, ayant conspiré contre le tzar, celui-ci le condamna a mort avec d’autres "décembristes". Un matin, vers 5H., on fit sortir de condamnés de la forteresse... On les amena, dans la nuit grise, sur la place où en devait les exécuter …
Vous voyez d’ici tout le rituel de la mort: le bandeau, l’officier qui commande "Attention, en joue!". Le dernier met que le quatre condamnés auraient dû entendre serait le met "Feu!"… Mais ce n’était la qu’une mise en scène pour le faire peur… Le tsar, à la dernière minute envoie un officier leur dire: "Arrêtez! Dans sa toute miséricorde, le Tsar tout Puissant vous fait grâce et commute votre condamnation à mort à l’exil et au bagne en Sibérie!". Léon Chestov ajoute: "il y a une tradition musulmane qui dit que chaque Homme, à l’instant de la mort, reçoit la visite de l’Ange de la mort... Celui-ci, au moment où l’homme est en train de basculer de l’autre cette du réel, lui enlève les yeux de chair et lui met, à la place, des yeux adaptes à la vision dans l’au-delà: c’est la révélation de la mort... C’est seulement avec ces yeux-là qu il devient capable de voir l’au-delà... Ainsi, dans l’aube grise, Dostoïevski à était, lui aussi, visité par cet Ange au moment où il entendait "Feu!" et l’Ange lui a enlevé la paire d’yeux terrestres et lui a mis les autres... Mais, lorsque le condamné a été gracié l’Ange était déjà parti et il avait oublie de lui reprendre les yeux et de lui rendre les les anciens... alors toute sa vie durant, Dostoïevski a garde ces yeux qui lui faisaient voir l’au-delà". Langage symbolique mais infiniment révélant!
5. Un rien d’oubli
Organiser l’oubli de la mort. La civilisation scientifique: "pleins pouvoirs (de) (sur) la vie et les ruses de la mort.".
Il n’y a pas que la pensée philosophique ou la pensée religieuse qui aient un met à dire ou à faire sur la mort... Il y a également et de plus en plus dans notre monde (il faut le prendre et l’assumer tel qu’il est) cette civilisation technico-scientifique qui est la nôtre... et l’une de plus pertinentes et révélantes approches de cette civilisation serrait celle qui verrait en elle un effort de en vue d’organiser l’oubli de la mort. Pourquoi? Parce que notre civilisation (Malraux s’est référé à l’"outil", différent du "tombeau" du Pharaon) technico-scientifique est sous le signe du "faire", de l’"agir". Or, on ne peut agir que dans le "plein", la "consistance" la mort est le "non-consistant" de l’"inconscient" d’où habitude qui n’est pas à mépriser (qui est a "situer") et s’insère d’ailleurs dans une longue tradition occidentale et trouve sa première formulation forte et anxieuse chez les stoïciens qui disaient: "Puisque j’ai réfléchi sur la mort, je suis d’accord qu’elle est une absurdité, un «non-être»: je ne puis que l’oublier et délier toutes mes forces vers la vie.". Notre monde actuel revient un peu, implicitement, à cette morale stoïcienne qui veut organiser l’oubli de la mort... Seulement a la mort joue avec moi en cache-cache et... si je l’oublie, elle, es-ce qu-elle m’oublie? Ne se "fourre-t-elle" pas quelques part dans notre civilisation qui se veut possédant les pleins pouvoirs de la vie, servant la vie pour l’altérer, la fausser au dedans, la rendre utopique sans le savoir puisque toute civilisation peut-être est sur le signe de mort pur – Avoir = possession. Il n’y a de possession que dans la violence, l’amour ne possède pas, il se donne, se partage; c’est différent! La connaissance vraie se partage, la vie se partage …
Des philosophes modernes parlent de notre civilisation comme d’une civilisation thanatocratique (le règne de la mort). Or, dans l’Évangile, il est dit: "Il ne suffit pas de dire: «Seigneur» pour entrer dans le Royaume". Est-ce que ce discours (implicite, explicite) de notre civilisation (qui se croit éventuellement capable ou appelée à prendre en charge la vie, le bonheur) ne serait pas un de ces lieux où les ruses de la mort se manifestent... et, au lieu d’inaugurer le règne de la vie... de par cette distorsion des mets, des choses, des êtres... notre civilisation ne fait-elle pas avancer le règne de la mort... n’est-elle pas vraiment thanatocratique? Il faut être objectif et Humble... Quand nous disons ceci... nous ne méprisons pas la civilisation, nous voulons seulement comprendre.
Enfin,
6. Le tombeau vide
La Résurrection: la mort prise au sérieux par Dieu. Le Christ, parole de Vivant.
Ce signe du tombeau vide est formidable... il possède une violence de sens... infinie... Un penseur marxiste se posait cette question: "les chrétiens, sent-ils conscients de l’extraordinaire signe que le Christ leur a fait en ressuscitant, en laissant un tombeau vide?".
Nous avons le mausolée de Lénine. Nous avons le mausolée de Mao (nous ne méprisons ni Mao, ni Lénine: Dieu seul est juge!) mais Lénine et Mao sent des "morts" proprement dits, des êtres qui ne sent plus là en tant qu’êtres personnels pour se corriger, pour rectifier leurs pensées, pour atténuer leur action... mais ils pèsent encore de tout leur poids inerte de morts dans leur mausolée et ils attirent les foules …
Ce Mao qui disait "je suis comme un moine pauvre qui parcourt le monde sous son parapluie percé" (il se référait aux moines bouddhistes qu’en voit sur les estampes chinoises... le parapluie percé est signe de pauvreté et... le ciel est toujours ouvert, mème le parapluie ne l’isole pas: langage symbolique!)... ce Mao est mort... tous les grands ne sent plus que des morts …
On pourrait donc, à l’intérieur d’une réflexion sur la culture et l’Histoire approcher cet extraordinaire signe du tombeau vide du Christ... Avec la Révélation c’est pour la première fois (nous parlons sans aucun sentiment de supériorité) dans l’Histoire de l’Homme: Dieu et la mort s’affrontent... nous qui avons commencé par reconnaître le paradoxe de celui qui veut perler sur la mort (il ne peut pas la "dire", il ne peut pas la "taire" non plus) nous devons finir par dire: "Enfin il y a quelqu’un qui est la Parole de Vivant et qui a englouti la mort en lui-même!".
13 Mars 1976
I. Que dire ?
-
1.Que dire?: formule à "creuser", à rendre "parlante"... Commençons par une
Explication et justification de ce cours sur la mort
L’explication; va de soi …
La Justification: nécessite une "mise au point". Justification est souvent pris dans un sens moral. Justifier une chose, c’est la rendre parfaitement acceptable et lui donner un statut moral... Ce n’est pas dans ce sens qu’en peut justifier un cours universitaire (ou se prétendant tel!) mais dans un sens épistémologique - comme disent les savants - autrement dit, à l’intérieur d’une tentative de connaissance systématique. Justifier veut donc dire: situer dans sa raison d’être propre... On pourrait trouver 3 raisons de choix d’un cours sur la mort:
1/ En tant que connaissance: elle fait incontestablement partie du patrimoine et du devoir de l’effort de l’esprit humain qui est tenu à étendre sa connaissance autant que son existence... Il est aussi incontestable qu’en tant que réalité objective la réalité de la mort est celle qui "frappe" (dans tous les sens du terme) l’esprit connaissant et, s’il veut être conséquent avec lui-même et digne de sa raison d’être, tôt ou tard, l’esprit ne peut pas éluder le problème de la mort (en tant que problème de connaissance) à l’intérieur de son effort de pensée systématique... Elle fait partie de l’espace de l’être humain et lui pose une problème... Elle s’inscrit, non seulement dans le substrat biologique de notre existence (le corps, le matériel) mais dans tout ce qui porte un sens pour l’être entier... Elle s’inscrit dans la nature, le langage, l’effort supérieur de connaissance – la religion, l’art, la création et donc elle est là! Cela suffirait déjà pour que, en tant que sujet connaissant, je m’applique à la reconnaître, cette mort énigmatique et à essayer de la déchiffrer …
Le chois du thème de la mort peut être dicte par un autre aspect...
2/ Elle est la seule réalité que je puisse pressentir ou reconnaître qui est capable de me contester totalement ...
Il y a, dans le processus de la connaissance humaine une sorte de combat mais qui est un combat de vie (dés que je m’applique à la connaître quelque chose, je dois faire un effort motivé par la passion, l’intérêt etc.). Il y a une sorte d’affrontement entre moi, sujet connaissant et agissant, et l’objet encore mal perçu de ma quête et donc... il y a... exercice salutaire: Les combats ont le bénéfice de rendre plus aptes, plus en forme, ceux qui le mènent, s’il savent comment le mener! …
Cependant, sur ce plan vital, la mort me semble représenter à la fois l’affrontement ou l’adversaire suprême – terme qu’en trouve dans les textes sacré: "le dernier ennemi" - mais le combat avec la mort m’est donné (d’une façon instinctive d’abord) comme un combat qui me conteste totalement. Loin d’en sertir raffermi, réconforté, sur le plan immédiat de mon existence totale - biologique, psychologique, affective - le combat avec la mort me pose des problèmes fondamentaux où je dois me situer d’une façon totalement différente, unique, presque incommensurable, sans commune mesure avec les autres entreprises de connaissance ou d’efforts. Raison de plus pour porter ce combat de son niveau existentiel à un niveau de conscience... On peut dire que tous les êtres "meurent". Peu cependant "vivent": ceci, parce qu’en ne peut réaliser l’ampleur de la vie sans la référer à ce qui est sa négation suprême: la mort.
La 3ème motivation de notre choix relève de
3/ l’actualité. Il y a, aujourd’hui comme une inflation de recherches, d’écrits, sur le problème de la mort... Donc, pour un professionnel de la culture et de la pensée, cet aspect des choses n’est nullement aléatoire.
Depuis un peu moins qu’une décennie les écrits consacrés au problème de la mort sent en croissance vertigineuse: il n’est, pour s’en rendre compte, qu’à consulter les répertoires bibliographiques dans tous les domaines... la mort est un thème "à la mode".
A quoi cela tient-il? Qu’est-ce que cela signifie ?
On pourrait dire qu’il y a des moments où, soudainement, dans la conscience unanime d’une civilisation, d’une époque, la mort révèle une de ses fonctions essentielles qui n’est pas toujours perçue: à savoir une fonction d’indicateur de civilisation - toute civilisation représente dans sa diversité apparemment chaotique, tumultueuse, difficile à maîtriser dans tous ses détails, une sorte d’unité, d’homogénéité... elle possède un esprit, un style... ainsi, la civilisation égyptienne, contemporaine pourtant de la civilisation assyrienne, était assez différente de celle-ci... elle avait un autre style, une autre âme! La civilisation grecque très en contact avec la civilisation romaine proposait un tout autre programme de vie que cette dernière …
Il y a donc dans chaque civilisation, digne de ce nom, une sorte d’esprit unifiant, de vision du monde qui lui promet d’exercer sa fonction et de prendre sa place dans le destin d’ensemble du plan de l’Humanité.
Or, l’indicateur essentiel, le facteur qui dévoile cet esprit caché d’une civilisation est précisément l’attitude implicite, diffuse, parfois explicite de cette civilisation en face du phénomène de la mort. C’est en partant de cette relation extrêmement profonde et subtile qu’une civilisation se définit et lègue aux civilisations ultérieures son héritage.
La thème de la mort représente aujourd’hui ce qu’en appelle un "indicateur de civilisation"... la morte este devenue "apparente" - je ne parle pas en tant que phénomène, elle est toujours très identique à elle-même et personne sur le plan purement Humain ne lui a échappe, même le Seigneur est passe par la mort! - mais sur le plan de la phénoménologie, de la réalité brutale! - elle est devenue un sujet de préoccupation, de réflexion et un lieu de réponse où s’insère la nature profonde de notre système de valeurs …
Dans un autre sens, mais toujours dans la même direction, le thème de la mort a cessé d’être tabou. On disait souvent qu’il faut une certaine maturité d’être pour affronter certains domaines - les plus profonds précisément - qui par pudeur ou manque de savoir-faire ne se laissent pas aborder à n’importe quel âge de culture... C’est à ce niveau qu’une civilisation en décidant implicitement de lever le tabou sur la mort révèle, sans même qu’elle le veuille, ses orientations les plus essentielles, les plus intimes, les plus cachées... et en jugeant sur la mort, elle se juge elle-même.
On peut dire que l’état actuel de notre monde nous fait pressentir et même regarder quelque curieux phénomène: c’est presque sur le plan anecdotique!
Il y a à peine 3 jours, j’écoutais une radio étrangère en anglais qui parlait de la visite d’un chef d’état (le Maréchal Tito) aux E.U.
Bien sûr, en ne manquait pas de signaler qu’il était le dernier survivant d’une époque qui vit la vieille Europe sertir victorieuse d’une guerre... que c’était le compagnon de génération d’un De Gaulle, d’un Staline, d’un Churchill, d’un Roosevelt etc.... Or, à peine débarqué à Washington, Tito, comme il se doit aujourd’hui, est interviewé par "New York Times"... Les sujets abordés sont classiques: problèmes politiques, objet de sa visite, état du monde actuel... Cependant, l’intérêt tourne - ce qui pourrait paraître assez déplacé - et se fixe sur l’interrogation de la mort - Tito a 85 ans: il n’y a pas si longtemps, en n’aurait pas, dans notre code de bonnes manières, songé à aborder un thème pareil avec un Monsieur qui, à son âge, aurait eu de bonnes raisons d’ajourner, autant que possible une pareille discussion... en l’aurait plutôt invité à un banquet ou à un spectacle de ballet... Et bien, la plus grande partie de cet interview était consacré au problème de la mort et Tito en parlait avec une gravité incontestable, une sorte de respect (qui venait d’on ne sait où... puisqu’il ne répétait pas des paroles faussement religieuses!).
Cela m’a remis à l’esprit la lecture des "Mémoires" du Général de Gaulle... Il y raconte, avec un talent qui fait de son récit un morceau d’anthologie, sa première visite chez Staline en Décembre 1944. II l’intitule - non sans humeur -: "Une soirée chez Yvan le Terrible". De Gaulle rappelle les difficultés de négociations concrètes avec cet homme qui était le maître d’une grande nation... On discutait de l’après-guerre... et les deux étaient comme dans une situation de demi-dieux (Héros capables de modeler le monde et l’histoire: démiurges)... Cela se termina sur un banquet "à la russe" (caviar, vodka) et, après avoir décidé du sort de la Pologne, de la Hongrie, de l’Allemagne (tout le monde était content, la guerre allait bientôt finir!), Staline prit à part De Gaulle et le groupe d’officiers russes... Tous étaient animés d’une terreur quasi sacrée.. l’ambiance était absolument hallucinante... Staline, alors, dit à De Gaulle dans un instant de recul: "Regarder: nous avons conclu un pacte, nous avons décidé de l’Europe et du monde... A quoi bon tout cela? Finalement, c’est la mort qui nous aura tous!"... Parole légère?..
C’est à voir!
Il y a 1 mois, un livre paraissait en France "Angoisse et certitude" de Mr. Maurice Schumann (ex-ministre des Affaires Étrangères)... Ce livre est une sorte de méditation ultime d’un homme qui a beaucoup vu et compris... On y trouve cette phrase: "Penser, agir, écrire, gouverner, c’est désormais parler à l’homme de la mort de l’Homme, de la mort des valeurs qui, jusqu’ici, définissaient l’Homme comme une essence …".
Voilà donc quelques éléments de cette actualité aigüe, de cette interrogation sur la mort (qui témoigne d’un état de notre civilisation) qui a un sourd pressentiment de ses frontières toutes proches: ce pressentiment s’appelle "finitude" (tout ce qui est fini dans son essence même).
La finitude est la caractéristique absolue de tout ce qui est, puisque tout ce qui existe a une forme qui est la limite, la fin (je ne serais pas là si ma forme corporelle ne me fixait pas: je serais un ange, un diablotin mais, puisque j’ai une limite, je suis là, Homme...).
La finitude est aussi le tracé d’une limite dans mes facultés de connaître, d’agir: je peux écrire un mot, mais je ne peux pas écrire tous les mots de toutes les langues du monde à la fois... ce serait absurde de vouloir être infini... mais cette absurdité peut devenir un délire individuel ou de civilisation... Les civilisations naissantes, en progrès, sent portées par une sorte d’insouciance des limites... elles ne les connaissent pas et peuvent se permettre des choses qui, plus tard, pourraient paraître Horribles: massacrer tout un peuple, ne pas tenir compte des ressources de la nature, des valeurs morales ou spirituelle... Platon, déjà donnait l’exemple du désir puéril, infantile... Pour l’enfant, il n’y a pas de distance: de la meilleure bonne foi du monde, il tend la main pour toucher la lune... la notion d’infini ne vient qu’avec un ensemble de facteurs... De même, les civilisations n’apprennent que très loin sur leur parcours (comme disait P. Valéry) qu’elles sont mortelles, qu’elles ne peuvent pas tout se permettre... qu’il y a un moment où elles ne se dépassent pas si elles ne se mettent pas en question... elles touchent à leur fin dans tous les sens du terme... elles expérimentent la finitude.. elles peuvent se détruire elles-mêmes!... Est-ce le cas pour notre civilisation modernes? Personne ne peut le dire d’une façon péremptoire et ce n’est pas notre affaire! On pourrait ajouter que même la révélation du divin, de Dieu... se "fait", se "module" comme une symphonie selon les époques - on pourrait même ajouter - et ceux qui l’"écoutent". Le Christ disait "Mon Père travaille jusqu’aujourd’hui et moi aussi je travaille". Dieu, apparemment, ne cesse pas d’agir à sa façon, que nous devrions savoir percevoir... Dieu se révèle avec des noms différents, le nom de Dieu étant la Perfection que j’accueille de sa Présence et de son style de Présence... Durant l’A.T. Dieu était conçu comme pouvoir absolu, écrasant, d’où un sentiment prédominant de crainte... Dieu peut aussi se révéler comme amour, lumière, vie... Peut-être est-il en train de révéler aujourd’hui un de ses noms cachés (Dieu est au-dessus de tout nom et capable d’un nombre infini de noms!) qui est celui qui se laisse apercevoir dans ce sentiment de "finitude". Il y a une limite au-delà de laquelle l’être créé doit passer dans un autre état d’être pour recevoir une autre lumière sur lui-même, sur le monde, sur la vie et peut-être donc dans ce sentiment diffus mais à la fois puissant et inscrit dans un ensemble de comportements et de structures de notre civilisation: cruauté, violence, méconnaissance de l’autre, mais aussi... espérance, désir de libération, espoir ouvert sans un objet très précis, une sorte de cri d’accueil qui parcourt notre histoire dans une espèce de cacophonie... Dieu est en train de signifier cette finitude qui est la nôtre et ce recommencement après avoir franchi les limites de la finitude.
Voilà donc les éléments d’explication de notre thème …
Que dire?
a) Lorsque nous disons langage, nous voulons exprimer la pensée, l’être tant qu’expression pensante. Là où il y a langage il y a donc véhicule et, en même temps, cheminement de la pensée.
Comment pouvons-nous faire cheminer notre pensée devant le thème de la Mort et qu’est-ce qu’il véhicule?
Question pertinente car, pour qu’un langage véhicule une pensée faut qu’il y ait d’abord un sujet pensant et un objet (je ne peux penser dans le vide; même avec moi-même j’ai une parole, un langage qui est la matière de ma pencée avec moi-même). Il y a toujours adéquation entre sujet et objet, c’est-a-dire un ajustement, une capacité de la part du sujet d’appréhender l’objet de sa pensée et, de la part de l’objet de passer dans la pensée et le langage. L’objet veut me parler, me fait signe, aspire à se faire une place dans l’être à travers ma pensée, mon langage... Je le repère, je le supplie, je le poursuis à la trace jusqu’à ce que je l’"attrape"... Par exemple, il y a une étoile inconnue: je l’observe... elle me fait signe à travers une anomalie du mouvement d’une autre étoile... je me mets en mouvement pour la découvrir (télescope, calcul mathématique, astronomie). Il y a en moi, si je suis musicien une mélodie, un soupçon de musique qui monte, qui veut se faire place dans mon langage... je me mets au piano... je transcris cela sur la portée... il y a adéquation entre sujet et objet et... soudainement, j’ai un morceau musical... On peut multiplier les exemples d’adéquation entre sujet et objet …
Quand je me mets en route vers le fait de la mort, je me trouve dans une situation absolument singulière, unique... Il y a d’abord une coupure entre le sujet et l’objet! quoi que je fasse, les doux ne peuvent pas "composer"... Le sujet est et restera toujours vivant et... il prétend faire une place dans son langage à quelque chose qui, précisément le nie le conteste, en tant que sujet vivant et pensant... Il y a coupure absolue… C’est le paradoxe invincible: toute parole sur la mort est une parole de vivant... en bute contre un obstacle qui est: ce qui ne me dit rien... la mort m’enlève la parole!
Nous savons que l’être humain possède un code génétique où sont inscrites toutes les expériences. Or, on n’est pas né de parents morts qui auraient pu transmettre leur expérience... Donc, tout mon dire sur la mort est un dire de vivant... La mort m’enlève ma parole à moi sans me donner la sienne: elle ne me dit rien... elle n’a pas pour moi le message de son propre mystère, de son propre être ou de son non-être... Je me sens littéralement interdit... Je m’arrête toujours au seuil de la mort!
La mort contrarie mon attente logique: elle est absurde car je ne la situe pas... Elle est illogique (Pourquoi mourir jeune?) ou mieux elle est littéralement alogique: elle ne me transmet rien elle-même pour le dire... elle est aparole (le corps du défunt est muet au sons logique mais le fait est alogique...). C’est moi qui parle en butant sans cesse contre elle mais, en faisant cela, la mort met ma parole en mouvement et je la poursuis partout à tel point que l’on peut dire que tout discours sur la mort met l’être dans une situation limite d’extrême tension de la vie: puisque la vie est totalement remise en question par le fait de la mort s’il y a une mort qui ne dise plus rien à la vie, c’est que la vie elle-même cesse de dire quoique chose à un moment donné; elle n’a plus de sens. Par le fait de la mort, je comprends soudainement que la vie elle-même bute contre quelque qui ne lui donne plus rien comme sens... la mort est partout à la limite de la vie... elle est omniprésente... ailleurs! (si elle était ici... nous ne serions plus là) et elle est omniabsence.
b) Il y a cependant une autre parole que celle qui s’exprime par un discours systématique et cohérent: c’est la parole existentielle où je n’ai pas à réfléchir philosophiquement ou scientifiquement sur la mort mais j’ai tout simplement à me "situer" exponentiellement envers la mort... Qu’est-ce que je trouve ?
La mort est omniprésente comme la seule certitude absolue... Tout autre certitude à l’intérieur de mon espace vital m’échappe et, à la limite, elle m’échappe parce que toute autre certitude est sujette à cette incertitude ultime de la mort... Les anciens disaient "La mort est certaine... l’heure de la mort est incertaine!". Donc, toute certitude, dans mon espace vital, à cause de cette omniprésence de la mort, à la limite est menacée, grevée d’incertitude. Les physiciens et médecins savent que beaucoup d’attaques cardiaques et de morts subites viennent du fait d’un interférence entre un rayon cosmique et un ganglion cardiaque (ceci a était vérifié) la mort peut être à un facteur qui s’avance des galaxies pour interférer, à un moment donne, avec un organisme... C’est un exemple, quelque peu grossi mais concret de cette action de la certitude de la mort qui la rend présente et de son incertitude qui le rend absente... Je me trouve donc, existentiallement parlant dans un sorte de jeu de cache-cache avec la mort... Nous ne lui échappons jamais... c’est elle qui nous échappe! Nous ne la voyons pas (on ne peut regarder la mort en tant que vivant... cela peut paraître très banal et ce l’est... mais c’est aussi très profond!)... c’est toujours elle qui nous trouve et nous étreint.
Quant à nous, nous n’étreignons que le vide... autrement dit, en rencontrant la mort, je ne suis plus capable de la décrire... de voir son visage... puisque je n’en ai plus moi-même... le mien m’a été enlevé. Je suis donc, à ce point de vue, avec la mort, dans une sorte de pari où "il y a quelqu’un qui perd et quelqu’un qui gagne" (Pascal).
Qui perd? Qui gagne ?
Paradoxalement, moi qui suis le "perdant" en termes de vivant et de mort (je suis "fini"!)... en termes existentiels, moi, je gagne toujours parce que, la mort, je l’accueille existentiellement tant que je suis vivant: elle creuse, elle affine, elle renforce mon sentiment de la profondeur des choses... elle me fait "voir" dans l’ordre du dépassement de moi vers l’autre, des choses que, sans cette présence dans l’absence de la mort, je perdrais... je vivrais uniquement au niveau de la "platitude"... Si j’ignore la mort, j’ignore également le prix de la vie!
Par contre, la mort qui semble gagner toujours est aussi "perdante" par rapport à la vie car, finalement, la mort elle-même ne "s’enrichit pas" de par tous les vivants qu’elle dévore. Dans l’Ecclésiastique en trouve: "les fleuves se déversent dans la mer et la mer ne se remplit pas", "Insatiable est la bouche de la mort …". Elle ne devient pas plus présente pour autant... elle n’acquiert pas de l’être en dévorant tous les êtres du monde (à l’instar de Khronos dévorant ses fils...). Il n’y a donc pas du côté de la mort un triomphe absolu... en elle-même, elle ne "profite pas"... De là découlent 2 attitudes devant elle:
1) une attitude de gravité (considérer la mort comme signe de finitude)
2) une attitude de banalisation ou de frivolité (Hermesses flamandes... Blues...)
c) Quelle autre parole, dans le langage humain a jamais réuni ces doux vocables: omniprésence, omniabsence? Une seule parole a pu réunir ces deux attributs: la mort m’évoque son seul partenaire qualifié: Dieu.
Comment ne pas me souvenir alors du fait que, partout, lorsque Dieu veut rencontrer ou se révèle à quoiqu’un, il y a cet avertissement: "Nul ne peut me voir et rester vivant!". Je vois donc à la mort une autre signification que je ne soupçonnais pas... elle représente une modalité d’accès dans l’au-delà. Mourir, dans cette 3ème perspective signifie passer outre à la vie sensible et passer outre à la mort: "Si le grain ne meurt …".
Voici donc qué la mort elle-même me révèle enfin quelque chose qui la situe elle-même alors qu’avant, c’était elle qui me situait et m’interdisait la parole... Elle semble laisser passer à travers elle un état d’au-delà d’elle-même et qui se laisse voir à travers elle... Cette 3ème approche est celle de la mort en tant que mystère. On pourrait faire ce petit schéma:

(Voir Camus: Mythe de Sisyphe où il paraphrase Dostoïevski. Pour tout être pensant il n’y a qu’un seul problème vraiment, celui du suicide. Si nous constatons que le monde est voué à la "finitude", quelqu’un qui assumerait cela totalement ne pourrait qu’en tirer la seule conclusion: aller jusqu’au bout le plus tôt possible: "si Dieu n’existait pas, le seul dieu absolu de l’humanité devrait être la Mort")
Camus se réfère à Dostoïevski qui était très impressionné par la Résurrection: victoire de la mort dans et par la mort!
17 Avril 1978
II Qui meurt?
Il s’agit de nous approcher davantage du lieu concret où la mort se pose avec ses innombrables interrogations muettes ou vociférantes, en tant que fait réel, empirique, humain, cosmique et ceci nous permettra d’entrevoir davantage encore ses dévoilements. Pour ce faire, nous allons suivre les étapes déjà préfigures dans la leçon antérieure et entrevue méthodologiquement des le début du cours.
Essayons de nous situer à l’intérieur de cette nouvelle interrogation: Qui meurt?
Nous butons de nouveau sur cet invincible paradoxe de toute approche concrète de la mort car, pour fonder n’importe quelle expérience digne de ce nom et donc, crédible, il faut une adéquation entre le sujet et l’objet de la connaissance.
Or, il y a une adéquation en moi, sujet fini, et l’ensemble infini des expériences qui me sont proposées par l’aventure humaine.
Je ne les porte pas toutes actualisées en moi... mais je peux leur faire face (sans doute, il faut le temps!): l’Homme a, sans orgueil, la conscience intime que tous les problèmes posés à lui par la condition Humaine peuvent se résoudre. Pour répondre à l’interrogation "Qui meurt?" il faut prendre la mesure du champ de l’espace du langage et l’espace des faits concrets qui nous est ouvert par cette interrogation, car il y a une sorte de "grammaire de la mort de l’être Humain".
Une sorte de "grammaire" de la mort de l’être Humain.
Il faut prendre le terme grammaire non comme une métaphore, mais au sens très rigoureux de: articulation systématique de la relation entre les partenaires du discours et la réalité humaine.
La grammaire se constitue au moment où je découvre que moi, celui qui dit: Je a devant lui d’autres partenaires qui disent également: Je. Mais on peut rester uniquement entre deux Je, sans communication, sans relation, sans passage possible, comme des monades (entités uniques): ce serait une vie pire que la mort... d’ailleurs, elle serait inimaginable! …
Alors, du moment que je réalise que mon Je a un autre Je... je dois changer de grammaire et trouver un autre élément de passage, d’appellation... ce sera le Tu que j’adresse à l’autre et le Tu que, lui, m’adresse en échange... Nous nous rencontrons tous les deux: c’est la dilatation du Je en Tu …
Mais ce serait assez dramatique de nous arrêter là: à nous deux Je, Tu, seulement ce serait étendre le solipsisme, la solitude du Je à la dualité: "Je, Tu".
A ce moment surgit un horizon au-delà du "Je, Tu" qui s’appelle Il... et, à partir de cela la porte est ouverte: Je, tu, il, je peux les embrasser dans le pluriel Nous. Ce Nous est une totalité infiniment ouverte, à jamais close, sans limites (à l’intérieur de notre "finitude", bien sûr!).
Je me rends compte que je peux dire Je jusqu’au bout: personne ne peut m’en relever. Jusqu’à la dernière minute, mon Je reste identique à lui-même et c’est pour cela que je peux l’articuler à travers le temps, à travers les pays que je traverse, à travers les états d’esprit déprimants ou exaltants... Il y a continuité irréfutable, souveraine: c’est la racine de ce qu’on appelle les Droits de l’Homme. Dès que j’enlève à quelqu’un, d’une façon ou d’une autre, la possibilité de dire pleinement:
Je, je porte atteinte à cet enracinement souverain de la vie face à sa contradiction toujours surplombante que nous appelons: la Mort...
Quand je dis Je, je suis vivant... c’est l’affirmation primordiale de ma qualité de vivant: j’ai tous les droite souverains devant les titres, devant la loi et devant Dieu qui est le Dieu des Vivants, me voulant devant Lui en tant que souverainement Je. Cette position du Je exclut la mort car, tant que je peux le dire, je suis triomphant, au-delà de la mort qui n’a pas de pouvoir sur moi …
Comment la mort, quand même me fait dire à moi: "Qui meurt?". Il y a de la mort, et cela te concerne, te regarde (dans tous les sens du terme), veut te dire quelque chose... A quoi cela correspond-il?
Essayons d’entrer un peu plus à l’intérieure de cette interrogation: "Qui meurt?".
Quand je dis: Je: qu’est-ce que j’affirme? Qu’est-ce que je pose?
Dans le langage, dans l’être, devant la vie et, en quelque sorte devant cette mort invisible qui n’a rien à voir avec moi, je pose une double façon d’être: individu et personne.
Individu et Personne
Chaque être humain est approchable et définissable en tant qu’individu et en tant que personne. Ces deux termes s’appliquent inséparablement, successivement (pas toujours d’une façon très claire) au Je.
A quoi ces deux notions correspondent-elles concrètement ?
A Individu
Quand je me laisse approcher ou entendre en tant qu’individu, je me trouve devant un aspect immédiat qu’on pourrait appeler: quantitatif et quantifiable.
L’individu est, avant tout, la forme irréductible de la présence physique car je ne peux aller au-delà de cette forme de l’individu qui ne peut être divisé plus loin - en grec: atomos, atome: ce qui ne peut être coupé - Je peux découper figurativement l’ensemble de l’Humanité en nations, provinces... et faire d’autres découpages. Je peux distinguer, à l’intérieur de ce découpage un ensemble cohérent qui s’appelle famille et à l’intérieur de celle-ci des individus mais... je ne peux aller plus loin... Si j’interroge: "De quoi l’individu est-il composé?"... Je dois faire une autopsie et... je tue! …
L’individu est donc la position irréductible... il ne peut être analyse concrètement sans être détruit... il ne peut être "compris" analytiquement ou synthétiquement sans le référer au "tout" dont il fait partie... Quand je donne à quelqu’un un nom de famille, je le fixe dans un ensemble (fils d’un tel... de telle nation etc) et je recompose un tout. Comment? Toujours par l’extérieur... Individu = composante d’un ensemble (plus important que l’individu!). L’individu doit être manipulé de l’extérieur: c’est le cas des États disant par exemple: "Nous sacrifions un million d’individus pour la raison d’état"... ce n’est pas la vie d’un Homme qui compte... Malraux disait "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie".
Ceux qui ne "réalisent" pas la mort
La situation de l’individu face à cette interrogation "Qui meurt?" est très prégnante de sens …
On s’est rendu compte que, dans la condition humaine unanime il y a deux catégories d’êtres qui, d’une façon ou d’une autre, ne "réalisent" pas la mort: ce n’est pas qu’il l’ignorent totalement d’une ignorance matérielle mais elle n’est pas rentrée dans leur représentation du monde et dans leur représentation d’eux-mêmes comme une chose "signifiante" …
Il y a les enfants (jusqu’à un certain age qu’on appelle précisément age de raison) et les primitifs , membres de sociétés archaïques (les sauvages).
Dans les sociétés des primitifs, il n’y a que des individus fortement intégrés dans une réalité extérieure qui s’appelle la tribu ou le clan... la mort de l’individu n est donc qu un petit accident a l’intérieur de cette unité qui, elle-même, doit rester intacte et se multiplier en tant que telle. On a remarque que l’individu dans ces sociétés primitives n’as pas un peur de la mort telle que nous pourrions l’expérimenter nous-mêmes: il a une peur du mort... lequel pourrait se métamorphoser en "revenant" méchant parce qu’il n’est pas encore en paix dans sa nouvelle totalité en tant qu’individu appartenant aux ancêtres (Attitude archaïque qui existe aussi dans notre inconscient à tous!)... Il a donc pour de l’individu déjà disparu et qui ne s’est pas intégré dans une totalité qui appartient encore à la tribu mais qui est de l’autre côté de la barrière de la mort, d’où l’importance de tous les rites, de toutes les conjurations (gestes religieusement ou pathologiquement propitiatoires) afin que le défunt accepte de s’intégrer de l’autre côté de la limite de la mort dans cette nouvelle totalité qui continue celle de la tribu d’où l’importance des Ancêtres …
Quant aux enfants, pour des raisons qui tiennent au développement à l’intérieur de leur système de culture et de valeurs, c’est à peu près la même chose: le recul entre le sujet (encore en état de développement) et l’ensemble du réel n’a pas eu lieu... La psychologie ne s’est pas encore affirmée autour d’un sujet, d’un Je (les enfants parlent longtemps à la 3ème personne)... le Je n’a pas encore percé: il est encore un individu qui se situe par rapport à la totalité environnante immédiate (parents, famille) mais qui n’a pas pris possession totalement de sa destinée propre.
Cependant, si c’est le cas d’un individu, il y a un autre aspect de ce même Je qui le situe de façon entièrement nouvelle face à l’interrogation de "Qui meurt?" il s’appelle la personne.
B Personne
Si l’individu représentait l’aspect quantitatif, la limite irréductible de "l’être là" la personne, elle, représente l’aspect qualitatif du Je, celui qui se pose devant moi et devant le réel avec des exigences dépassant la simple forme de sa présence matérielle et ayant avec la totalité des rapports entièrement nouveaux.
La personne commence là où l’être humain intègre, intériorise la totalité. Lorsque l’être humain est reconnu en tant que personne cette totalité devient une partie de mon Je puisque, désormais, cette totalité est qualitative .
Lorsque deux individus se rencontrent en tant que présence extérieure (Bonjour etc....) et que la rencontre se fait au nom de la personne elle "creuse" jusqu’aux profondeurs où le Je et le Tu se découvrent comme une relation d’intimité et cela au point que si je connais vraiment, si j’aime personnellement quelqu’un, cela me donne tout de suite une connaissance intime de ce qu’est la totalité de l’Amour. Mieux que cela: si je me situe en cette relation d’amour avec le Tu je me trouve devant cette extraordinaire nouveauté où le Tu est aussi vivant, aussi respectable, aussi existant que moi. Le véritable amour (par exemple celui dont parle le Seigneur) n’est peut être rien d’autre que la réalisation extrême ou normale de reconnaître que l’autre existe exactement, de la même manière et dans la même mesure que moi... Si je dis cela, l’autre n’est plus pour moi un individu avec qui je ne puis avoir que des relations extérieures mais ce/c’est??? quelqu’un qui, tout en restant lui-même (je ne l’absorbe pas!) est là, tout en sachant que, de par sa présence, moi je suis en lui et il est en moi... c’est la relation personnelle: maintenant, la totalité a été intériorisée …
Lorsque Je découvre cette relation personnelle, je me trouve dans une situation absolument nouvelle. Si on se met à en faire l’analyse, on découvre des choses inépuisables, par exemple, la personne ne se réduit pas à l’individu; la confusion serait désastreuse (et on la fait souvent!). Une personne vivante qui porte en elle cette totalité de l’être peut, par exemple, dire (ce qu’un individu ne peut jamais dire!) "Non …" "Je refuse" à la totalité dont elle fait partie... L’individu, au contraire, est enrégimente... il est dedans... En soi, individu et personne sont distincts mais dans la conscience, la séparation est extraordinaire: il y a une sorte de bond, de saut de qualité de l’individu à la personne.
N.B. Lorsque je dis "personne" je dois faire attention de ne pas transformer cette personne dans une sorte de doctrine: le personnalisme (né durant les années 1920 - 1930 d’une méditation chrétienne sur l’homme et les insuffisances de l’individualisme). Renfermer l’être humain dans cette seule structure du Je et du Tu en on faisant la dernière définition de l’être, c’est, de nouveau, faire tomber la personne à travers le personnalisme dans une sorte d’espace formé qui devient un absolu en soi: c’est cela qui a entraîné la fin de la doctrine personnaliste.
C. Entretien - Fidélité
Lorsque je suis une personne, je découvre à côté de moi, la présence d’une personne qui est moi-même, tout en étant le Tu: il y a donc possibilité d’un extraordinaire face à face – même dans le sons physique - par où vient s’engouffrer dans cette totalité de l’être, cette célébration de la vie, ce pouvoir souverain qui est désormais, non pas seulement le Je personnel mais qui est dans ce regard, dans cette droiture du face à face qui est déjà entretien.
Quand il y a Je il y a Tu: entre les doux se trouve l’entretien dans tous les sons du terme: le passage de la parole. Ainsi, la parole passe et le lien de cet entretien s’appelle de son nom plus profond: fidélité.. non pas fidélité d’individus ("Tu m’as juré fidélité éternellement: Revues du cœur) mais fidélité de personnes qui se fait d’elle-même de par la droiture du regard et qui n’a pas besoin d’un sanctionne ment par la loi ou par la morale. Ce "Je, Tu" pris personnellement comme surgissement de ce face à face (je vois que je suis vu) existe parce que je suis vu par celui que je vois: d’où: joie, célébration, victoire, triomphe de l’être! La différence entre Toi et Moi demeure mais elle se maintient ici, cette distance, comme négation de l’indifférence (si cette distance n’avait pas lieu, je serais indifférent!): j’ai besoin de cette distance! Mais celle-ci est le lieu (ce n’est plus l’éloignement...), le passage qui se fait, et quand je dis Tu, même grammaticalement, quand je dis Toi, je ne nomme pas un individu.
Dans la grammaire il y a plusieurs cas - nominatif, génitif, datif, accusatif, vocatif. Le cas le plus humble est le vocatif qui vient de invocation, appel.
Entre les individus, tous les autres cas sont les plus importants. Lorsqu’il y a la personne le cas premier (Je, Tu, Toi) est une invocation, une marque de la fidélité de l’être... Si je peux dire: "Toi" j’appelle, j’invoque et, dans cette invocation passe la fidélité nouvelle, absolue, au-delà de mon "Je" qui est menacé de tomber chaque fois de sa présence personnelle à son statut individuel, tandis que, lorsque je dis Toi, la personne est sauvée, la fidélité est proclamée.
N’est-ce pas curieux que, dans l’Apocalypse (I 8.12) quand le Seigneur apparaît pour la 1ère fois après la Résurrection à St Joan, Il se définit lui-même en disant "Je suis le premier et le dernier"… le fidèle... Pourquoi? Parce que le fidèle est l’irruption absolue de ce dépassement de l’ultime limite qui pourrait mettre un terme à cet entretien! "Moi, Toi"... Il y a donc un fidèle qui a brisé même cette barrière ultime et qui peut toujours invoquer, appeler! "Toi, Tu" sa fidélité a englouti l’infidélité de la mort.
La mort est fidèle dans son infidélité; la vie est infidèle dans sa fidélité (elle est là... mais je sais qu’un jour elle va me ternir!): elle ne peut tenir ses promesses jusqu’au bout. La mort n’est là tant que j’affirme: "Je suis" mais elle me menace et menace intervenir en tant qu’infidélité ultime... La mort peut faire surgir sa façon d’être infidèle à la vie en la contestant.. A ce moment-là une autre forme de conscience répond à notre interrogation première: "Qui meurt?
La problème se pose en des termes absolument différents lorsque la personne humaine surgit en tant que telle. C’est un phénomène historique, ou socio-culturel qui se produit à l’intérieur d’une époque de l’Humanité; cette conscience de la personne n’est jamais "assise" à perpétuité, même dans les civilisations qui se sont constituées sur une base de fidélité à la personne; on voit l’être humain sans cesse menacé d’être considéré en tant qu’individu (non plus en tant que partenaire du "Je. Tu"), en tant que membre purement constitutif d’un ensemble qui est plus important que l’être personnel. Or, c’est uniquement à l’intérieur de cet être personnel que surgit cette nouvelle interrogation sur la mort qui répond à notre "Qui meurt?" En ce qui concerne l’individu "il ne meurt pas", il "s’efface" pour qu’un autre individu puisse prendre sa place et que la totalité extérieure puisse continuer: même dans des cultures très développées c’est cette conception qui compte: il faut
que la famille se perpétue, que la nation demeure... Ainsi c’est souvent l’individu, à son niveau subalterne, qui émerge.
Or, dans la relation personnelle l’expérience de la mort prend une caractéristique unique et c’est elle seule qui nous permet de faire un pas gigantesque en avant vers le mystère de la mort. Lorsque je découvre le "Toi" je découvre le face à face, mon semblable, mon frère.. alors, c’est éblouissant.. c’est une célébration extraordinaire! La fraternité est de cet ordre transcendant, personnel et si mon frère, mon "prochain" meurt (Voir: Bon Samaritain) c’est autre chose que la mort du "Il" individuel... (12.000 morts dans un tremblement de terre, 50 accidentés dans une course etc...) Sur le visage de mon "frère" je vois "mon" visage et quand il me quitte et que la mort le prend il est mort pour moi et aussi je suis mort pour lui. La relation personnelle me met devant une dernière question: "Qui meurt ?"
Si je puis dire cela: "je suis mort pour lui", c’est que je suis vivant.. Mais... meurt-il vraiment? Meurt-il totalement ?
Il mourrait totalement s’il était membre d’une totalité qui l’engloutirait (s’il n’était qu’individu, un autre individu surgirait à sa place...) Meurt-il totalement? Interrogation ultime, sous-jacente, lorsque je me trouve dans cet horizon transcendant de la personne...
8 Mai 1978
III. Itinéraire dans l’absence
La pensée occidentale et la mort.
Evolution et tournants.
Les grands axes de l’interrogation.
Ce qui nous oblige à ne pas manquer ce jalon au long de notre parcours c’est la tendance que la pensée occidentale présente, d’emblée, dans l’ensemble de la culture, pour une réflexion sur le problème de la mort.
Ce qui rond aussi quelque pou particulier ce thème précis, c’est le fait que nous aurons à passer en revue un domaine très connu, fortement exploré, jalonné, constitué: il s’agit de susciter devant nous:
Les grands moments de la pensée occidentale qui ont marque toute réflexion sur la mort. C’est un de lieux, parmi les plus déterminantes dans notre condition culturelle et moderne, que la problématique générale de la mort a été accueillie et recueillie depuis cette tradition philosophique, elle l’accompagnée tout au long de façon que la part de la philosophie occidentale dans la problématique générale de la mort est tout simplement immense, aussi étendue que la pensée humaine historique elle-même.
Selon un autre angle de vue, cette tradition philosophique occidentale nous impose de la considérer avec attention puisqu’elle a inscrit, tout au long de son "devenir", non pas un problème abstrait mais surtout l’histoire concrète, souvent tragique, souvent sûre d’elle-même de l’être humain.
Plus loin, la philosophie occidentale, malgré les apparences et une certaine réputation qu’on lui fait souvent, ne s’est jamais cantonnée à l’intérieur d’une "tour d’ivoire" ou d’une enceinte préservée; elle a souvent, sinon toujours, pris sa place dans l’arène du combat divers, confus, immense de l’homme.
Donc, les doctrines, écoles et courants que nous allons susciter représentent autant de moments d’une recherche tragique, grandiose, où l’effort philosophique est venu infléchir parfois les axes de recherche, ouvrir des pistes nouvelles, fermer (malencontreusement parfois) d’autres routes qui s’ouvraient devant l’homme... de toute façon, elle est constitutive de notre univers moderne. Mais, ce qui plus est, même dans notre condition de croyants nous ne sommes pas toujours conscients d’une certaine présence d’éléments de philosophie qui viennent marquer, orienter à leur façon, souvent altérer ou modifier l’horizon strictement défini et reçu de la foi révélée. Elle est peut-être de connaissance unanime la définition que beaucoup de philosophes, depuis des siècles, voulaient attribuer au christianisme en tant que "platonisme du peuple". Ceci marque, bien sûr, une certaine méconnaissance du christianisme on soi. Il est, de toute évidence, excessif de réduire le christianisme à une forme de platonisme mais, par ailleurs, ceci peut être utile,
précieux, certainement significatif quant à la façon d’incorporer dans notre comportement de croyants des catégories ou des valeurs de l’Horizon philosophique.
Il y a donc, dans notre thème, un aspect d’analyse critique qui pourrait aider chacun d’entre nous à sa façon, à une sorte de prise de conscience lucide - de distinction - quant à ce qui, à l’intérieur de notre structure et de notre attitude de foi relève vraiment de la foi ou d’une assimilation plus ou moins heureuse des fragments de recherche ou de pensée proprement philosophique. Ceci, dans l’ensemble, pourrait constituer une justification de ce chapitre inévitable à l’intérieur d’une réflexion sur la mort.
On peut distribuer cette recherche en plusieurs points - Le premier se réfère aux commencements, non seulement historiques mais intellectuels, noétiques.
Niveau noétique
Le surgissement de la conscience de la mort au niveau supérieur de l’intelligence qui s’appelle le niveau noétique pousse ses racines là où l’intelligence s’articule avec l’âme, la totalité de l’être. Le noétique est ce qui donne une vision de l’essence en tant qu’élément de connaissance et là.. nous retrouvons les origines grecques et nous pouvons commencer, d’emblée, par nous interroger et reconnaître, avec cette interrogation une sorte de marque de destin indélébile qui ne s’efface pas jusqu’aujourd’hui.
Logos
Nous savons tous que la pensée philosophique commence à une date relativement précise et nettement situable, à peu prés au 7ème siècle avant notre ère lorsque, soudainement, sur l’arène du monde, dans ce vaste tumulte jusque là encore confus de l’humanité, dans cette partie du monde assez inapparente que nous appelons la Grèce (l’antique Ionie) un groupe de gens qui ne constituait pas un état, à peine une nation, une ethnie, se met à pratiquer avec sérieux, voire avec passion, un sport nouveau, une entreprise nouvelle qui s’appelle la pensée autonome, une reprise en charge de tout cet ensemble du monde qui était distribué sur l’art, la religion, la poésie, la chose publique, les lois etc... et qui devait, désormais, rendre compte de soi-même, devenir conscient et se justifier à l’intérieur de cette conscience par une activité nouvelle qui s’appelle la pensée philosophique et qui s’articule tout entière autour de cette découverte dont nous héritons jusqu’aujourd’hui: le l o g o s, à la fois parole claire, cohérente, et pensée claire, cohérente ...
Religions à mystères. Rites d’initiation
Or, un des tournants les plus décisifs de cette nouvelle apparition de la pensée philosophique prend place précisément, par rapport à la mort. Jusque là, le fait de la mort constituait pour l’ensemble de l’humanité, non seulement une donnée familière en tant qu’"évènement" mais une valeur centrale quant à sa vision du monde dans l’ensemble du divin, du cosmos et de l’humain... l’homme s’acheminait dans la mort face à la mort et non dans l’absence de la mort, dans son ombre ...
Toute la tradition pré philosophique grecque avait, quant à la mort, une sorte de connaissance qu’on pourrait appeler expérimentale ou symbolique... Elle est reconnue, aujourd’hui encore, dans les nombreuses autres strates de l’humanité partout mais davantage dans certaines sociétés traditionnelles de notre espace européen où ces immémoriales coutumes se transmettent et vivent à l’intérieur des communautés de croyants. Retenons que, jusqu’à l’apparition de la pensée philosophique constituée, autonome, sûre d’elle-même, voire dominatrice, l’homme s’acheminait directement face à la mort lorsqu’il s’agissait d’on rendre compte. Il y avait les religions à mystères, les rites initiatiques qui existent encore et se sont beaucoup estompés dans notre société moderne ou y surgissent de façon dénaturée. Lévy Strauss le grand ethnologue, encore professeur au Collège de France, dans une sorte de testament spirituel, de conclusion globale de toute son œuvre disait que: pour lui, les crises multiples et multiformes du monde moderne qui sont condamnées à poser encore, peut-être jusqu’à sa dislocation sur notre monde, s’expliquent en grande partie par une terrible erreur d’option: nous avons manqué cet extraordinaire instrument de continuité et de confiance dans la vie et la réalité qui s’appelle: les rites initiatiques, les rites de passage ..
Dans les sociétés traditionnelles, subsiste le passage de l’être personnel à l’intérieur d’une communauté, le passage significatif d’un état de vie à une étape ultérieure est marqué par des rites qui lui donnent une connaissance personnelle, vivante, sérieuse, capable d’être assimilée: c’est une sorte de consécration, d’investiture (v. chevaliers) à tel point que, par la suite, les "initiés" se sentent
parfaitement à l’aise, en connaissance des choses, par rapport à la communauté où ils entrent, capables de prendre leur part de responsabilités dans cette communauté. Prenons comme exemple le rite de puberté: toutes les confusions modernes de nos sociétés à la fois trop libérales et trop pudibondes, trop autoritaires et trop relâchées tous les problèmes seraient plus facilement résolus si l’on pouvait retrouver un succédané, un substitut à ce rite de passage... Et il est d’autres rites: celui du mariage, ou celui de l’encadrement dans un travail, une fonction… finalement... le dernier rite de passage - et quel pesage! - celui de la mort.
Donc, les religions mystères les rites initiatiques représentaient une sorte d’itinéraire face à la mort (non dans l’absence de la mort mais dans sa présence). On avait la possibilité, traditionnellement, de figurer et de moduler l’insertion de l’être personnel à l’intérieur d’une communauté dans ce mystère ultime de la mort: ceci se faisait à l’intérieur de cérémonies qui gardaient un caractère discret - sinon secret - mais d’où l’être émergeait avec un sentiment de connaissance et de confiance quant à son destin total, y compris le dernier acte de ce destin: la mort.
Du mythos au logos
Que se passe-t-il au 7è s. av. Jésus Christ?
L’Homme grec accomplit une sorte de rupture, non seulement une rupture involontaire à la suite d’une transformation générale, graduelle ou catastrophique du milieu historique et culturel, mais il prend une option délibérée, lucide, qui va s’accentuer de plus en plus et devenir effectivement ce que nous appelons pensée philosophique.
Cette coupure représente elle-même une sorte de passage mais qui se veut radical et s’accomplit dans une sorte de rejet de ce qui était avant. Ce fut une première crise de modernité dans l’histoire de l’humanité (on n’en connaît pas d’autre de cette ampleur!) et elle est décrite comme le passage du mythos (1ère vision totale, globale, expérimentale) au logos. Ensuite, le logos s’emploie à supprimer de plus en plus tout ce qui représentait encore une présence mythique à tel point que le terme, "mythe" était devenu assez péjoratif dans la culture occidentale.
Ceci étant fait, le logos qui est désormais le lieu, le centre et la justification de la pensée occidentale, se situe radicalement en deçà de la mort... Il refuse - avec une certaine attitude d’autonomie qui ne manque pas de grandeur tragique - de croire, d’accepter qu’on puisse entrer dans ce mystère de la mort tout en gardant le logos éveillé... en dirait aujourd’hui tout en critiquant, en vérifiant, en voulant soumettre à l’épreuve... Le logos refuse d’admettre cette ligne antérieure de pensée et de vie, cette tradition immémoriale qui disait que l’être humain peut s’acheminer non seulement vers mais face à la mort, entrer de son vivant même par une sorte d’exercice symbolique équivalent dans le royaume de la mort afin de s’instruire, de s’y familiariser...
Avec le logos, la pensée occidentale se détourne de ce qu’elle considérera comme "l’autre monde" pour se consacrer de plus en plus à la prise en charge, à la transformation de ce monde-ci, le seul sur lequel la raison, l’intérêt, peuvent avoir une emprise incontestable.. Nous sommes là à un point fascinant du commencement de la philosophie en tant qu’itinéraire dans l’absence de la mort.
Elle s’est Elle-même interdit de prendre la mort au sérieux, avec le sérieux de la tradition antérieure "religieuse" au sens très largo du terme mais en s’acheminant elle-même dans cette absence de la mort qui représente donc une sorte d’option délibérée du destin.
Il n’a pas fallu longtemps à la philosophie occidentale pour se rendre compte du fait que cette absence de la mort n’était pas un exorcisme, une conjuration de la mort...
La mort, pour autant, n’en était pas moins toujours là.
Cet itinéraire dans l’absence était aussi un itinéraire "à l’ombre de la mort" à tel point qu’en retournant à l’exemple de Lévy Strauss en pourrait dire que, toutes proportions gardées, la société contemporaine moderne depuis plusieurs siècles, a éliminé cette transmission initiatique (indépendamment de toute autre qualification) cette transmission de vie et de savoir de personne à personne pour la remplacer par un apprentissage impersonnel où chaque être recommence, pour lui même, l’apprentissage de la vie en bénéficiant d’une somme objective, matérielle, de connaissances (qui se trouvent dans les livres, les bibliothèques, les films) mais qui ne lui supplée pas cette connaissance intime vivante et vécue qu’une transmission initiatique donne… On peut dire par la logique donc – que cette option de l’itinéraire dans l’absence de la mort loin d’avoir conjuré la mort, la rendue présente là ou on ne s’y attendait pas… dans un ensemble de comportements, de catégories du monde que la philosophie occidentale est en train de redécouvrir… et que les anciens même ne soupçonnaient pas.. par exemple le concept de l’angoisse, concept philosophique cardinal qui a été formulé par un grand penseur.
A/ Les présocratiques: Héraclite – Pythagore
Le logos grec surgit avec les présocratiques (60, 70 s. av. J.C.) et en peut en distinguer 2 catégories :
1/ les physiciens qui essayaient de dégager la raison à partir du cosmos, de la nature (Héraclite d’Éphèse)
2/ les initiés qui prolongeaient l’antique tradition "religieuse" (au sens générique du terme) afin de lui donner plus d’audience et de la répandre davantage par une activité qui est à la fois d’enseignement et d’initiation. L’un des principaux fut Pythagore, esprit très mystérieux, certainement initié aux traditions orphiques (celles d’Orphée, descendu aux enfers pour chercher son âme: Eurydice et qui enchantait les pierres, les bêtes féroces...) elles-mêmes rattachées aux religions asiatiques...
Que se passa-t-il à cette époque ??
Une première rupture de niveau
Le monde qui, jusque là, était plus ou moins encadré du point de vue politique par de grandes unités impériales (Égypte, Syrie) qui, du point de vue culturel, jouissait d’une certaine unité permettant aux hommes, beaucoup plus qu’aujourd’hui, d’opérer un passage de leurs propres références religieuses ou culturelles à celles des peuples des pays étrangers où ils se rendaient (équivalence entre les dieux respectifs: Zeus et Jupiter, Héra et Junon etc...) ce monde représentait un corps, une unité de sens et voilà.. qu’il se brise historiquement à cause des mouvements politiques et militaires, des révoltes sociales, de la prise de conscience de certaines classes... et la brisure part de cette Ionie d’où émergent quelques esprits qui constatent, saisissent et posent cela en pensée (ce qui nous semble banal mais qui eut alors plus d’effets que les explosions atomiques): le monde n’est pas immobile, il n’est pas solide, physiquement et moralement... il n’est ni statique, ni éternel.. soudainement, en "réalise" que le changement existe et nous sommes à la racine de ce courant qu’on a appelé avec un peu d’emphase: le miracle grec.
C’est l’apparition de la conscience philosophique qui veut rendre compte du tout du monde, du réel tout entier en termes de logos (pas de rationalisme encore mais de raison).
Sans doute, le changement existait mais, en le résorbait dans cette unité qui englobait le changement et empêchait l’être d’être perçu comme quelque chose de périssable et de reconnaître à l’intérieur de l’être la trace totalement annihilante et funeste de la mort. Dire que les choses changent: c’est un constat.. mais en tirer des conclusions, cela mène ailleurs et beaucoup plus loin! S’il y a changement, c’est que, peut-être: tout est voué " à la décadence finale et, en recommence les
interrogations "A quoi bon?" "Pourquoi je vis?" "Que veut dire: vivre?"
Il y a une tout autre orientation du destin d’ensemble!... On connaît la phrase d’Héraclite: "tout coule, tout s’écoule, tout passe" et il va plus loin quand il ajoute (c’est une note de génie!) "Tu ne peux descendre 2 fois dans le même fleuve car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi!"
Tout passe: qui arrête cet écoulement infini qui m’entraîne, moi aussi… Quel fleuve?? Et là nous entrons dans un autre domaine de réflexion:
C’est le sens du temps qui commence
A l’intérieur de l’univers mythique, qui est aussi sérieux et valable de l’univers philosophique ou technologique ou logique, le temps est en quelque sorte concentrique. Bien sur, il y a un passage mais ce passage se fait de façon circulaire: les choses reviennent tout comme les astres qui sont les garants, qui assurent les assises du cosmos (genèse).
Le soleil peut disparaître: je suis sure que, demain, il reviendra quand il accompli son périple (les saisons, la vie, la mort…).
Je ne le vois pas mais les autres, ceux qui sont aux antipodes le voient!
Ainsi, le défunt meurt: je ne le vois plus mais son âme va aux champs Élyséens (l’Hadès)... il va, il descend dans un ailleurs d’où il pourrait, éventuellement, revenir. Avec cette conception du temps (centré, circulaire) c’est donc un temps d’une autre nature qui se présente à la conscience et a une autre forme du passage du temps (fleuve d’Héraclite) commence à pointer: c’est le passage linéaire. Les eaux du fleuve passent... à l’instant même ce ne sont plus les mêmes eaux: je descends, maintenant, je reviens… les eaux ne sont plus les mêmes.. ce n’est pas pour revenir qu’elles sont passées! Le temps amorce pour le philosophe une autre forme de passage qui n’est plus celui d’un retour mais de passage irrévocable, linéaire. Ce fait équivaut à une sorte de destruction, et ce passage prend une qualité d’unicité: les eaux sont ici... l’instant d’après, ce ne sont plus les mêmes: elles passent irrémédiablement et, entre les unes et les autres il y a une sorte de gouffre, de possibilité d’absence irrévocable qui donne un aspect nouveau à cette constation de la mort qui, cette fois-ci n’est plus exorcisée cosmologiquement ou religieusement ou initiatiquement, mais devient un élément tragique.
Ce n’est par pour rien, qu’à cette époque, surgit le tragique grec. L’Homme a pris conscience de lui-même; il reconnaît les dieux mais il reconnaît davantage une autre forme irrémédiable de règle, d’ordre posant sur l’ensemble, qui s’appelle
LE DESTIN
et il l’affronte seul, tragiquement ce qui ne manque pas de grandeur! Et cela continue.. le Mythe de Sisyphe de Camus est une plaidoirie pour cette grandeur tragique: "oui, je le sais.. je serai écrasé... le travail est inutile mais je l’assume et alors peut-être trouverai-je une manière de le vaincre!"
(Héraclite avait choisi l’image des eaux.. dans l’Ancien Testament nous trouvons un écho de cette comparaison mais l’élément choisi est la terre. Nous lisons, en effet, dans l’Ecclésiaste (I. 19.20) "Le sort de l’homme et celui de la brute est le même: l’un meurt, l’autre aussi: ils ont le même souffle tous les doux; la supériorité de l’homme sur la bête est nulle: car tout est vanité. Tous deux vont au même endroit: tous doux viennent de la poussière, tous deux retournent à la poussière").
C’est à Pythagore, vers 572, qu’on doit une 1ère formulation systématique des doctrines orphiques sur la mort. Il voit le passage des êtres personnels à travers des cercles (comme le retour des astres) des cycles de naissance et de mort. Il reprend pour son compte la doctrine de la métempsychose sans doute originaire de l’Inde: cette doctrine admet la transmigration d’une âme d’un corps dans un autre pouvant appartenir à des règnes différents. Mais Pythagore fait intervenir, ici, un premier élément de rétribution morale. Si quelqu'un nait et accomplit son temps, il le fait d’un façon qui peut être bonne, médiocre ou mauvaise; les actes ne sont pas indifférents, non par leur répercussions sociales ou extérieures mais parce que cela affecte le Destin de l’âme après sa mort. Lors de la réincarnation l’âme revient passer soit dans un animal, soit dans une plante ou une pierre. Dans ce langage symbolique certains états ou qualités de l’âme sont marques par des emblèmes ou des figures d’animaux (horoscopes chinois).. On dit "c’est un lion" pour signifier qu’un homme a du courage. Gaston Bachelard a écrit une livre sur le grand poète Lautréamont; un des chapitre Lautréamont intitule: Le bestiaire de Lautréamont, tous les animaux y représentent des états d’âmes. Le Seigneur se sert aussi de symboles (à un autre niveau) quand il parle "des pleurs et des grincements de dents" ou "du ver qui ne dort pas". On serait bien naïf de prendre cela "à la lettre" dents et calcium qui vont grincer ou vers zoologiques! Bien naïf aussi de "sourire" sur ces paroles en disant que c’est une façon mythologique de s’exprimer.. Il faut plutôt réfléchir: le grincement signifie qu’on est sous l’empire de la colère: or, celui qui meurt, disons son âme, son principe conscient, sort du temps. Comme le temps s’est arrêté pour lui, il ne peut plus faire un dépassement, un repentir, parce que cela se fait "dans le temps" Si cette sortie du temps le surprend en état de colère (grincement) ou d’envie (ver qui ronge), ce grincement ou ce ver peuvent se poursuivre indéfiniment puisqu’il n’y a plus de temps: il est donc fixé pour toujours!
Ainsi, la métempsychose, loin de signifier ce retour d’une âme dans le même monde qu’elle a quitté (mais des corps différents) signifie le passage dans un au-delà de ce monde à travers des états où le poids de ses actions commises à l’intérieur du temps terrestre va en se purifiant petit à petit jusqu’à ce que l’âme puisse s’unir au Divin (analogie mais non identité avec le Purgatoire). Avec Pythagore nous avons donc une première expression de ce qui est une considération de la mort dans son au-delà. (Notons au passage que la métempsychose pourrait éventuellement faire face à cette vogue de la réincarnation constante qui est une sorte de tentation de l’esprit: revenir! Et c’est très curieux: tous ceux qui parlent de revenir le font en choisissant: "J’étais Cléopâtre… J’étais Napoléon!" Personne ne dit "J’étais le valet de Napoléon... ou son palefrenier!)
Pythagore en nous livrant cette vision orphique qui est dé tradition à l’intérieur de la philosophie naissante, introduit la notion de rétribution morale et aussi nous fait entrevoir ce qu’on appelle la Sotériologie (vision ou doctrine du salut).
Cela présuppose une distinction entre un monde où l’on se perd et un autre monde où l’on se sauve du premier... aussi une certaine appréciation de valeurs: le monde où l’on se perd est plus pernicieux et dangereux que l’autre où l’on se sauve.. celui-ci étant sensé être plus sûr!
Enfin, s’il en est ainsi, il doit y avoir une technique du salut.
Que d’implications à l’intérieur d’une simple prise de position! A remarquer que quand en dit "salut" il faut préciser:
Quand en dit "sauvetage" (d’un noyé par ex.) en suppose que le "sauvé" a été arraché à une situation extérieurement et provisoirement dangereuse (il était emporté par le courant) puis restitué à une situation normale, où il se trouvait habituellement, sans aucun changement.
Le "salut" est plus ample et plus radical: il me prend moi-même... à la limite, le réel tout entier, pour être transposé dans un état ou rien de dangereux ne peut plus me porter atteinte.
Avec Pythagore, on commence à se poser le problème: "Qu’ est ce qu’il y a, en moi qui peut être sauve, totalement porte au-delà de l’empire du périssable, qui peut passer au Divin?"
De là une quête après l’essence immortelle et voila comment surgit le thème de l’immortalité de l’âme
"s’il y a quelque chose d’immortel en moi… Qu’est-ce? Quoi?"
sur cette interrogation se fait le passage entre les présocratiques et les socratiques dont Socrate est le père et Platon.. le pilier..
(René Le Senne disait que la philosophie occidentale n’était rien d’autre que des Notes en bas des pages de Platon!)
En effet, si en étudie Platon (de préférence en grec) en est stupéfait de voir l’influence profonde qu’il a exercée à son époque et celle dont il marque encore notre époque.
Pour conclure, revenons à la tragédie grecque qui a été le grand legs de cette période exceptionnelle. Le tragique grec est indissociable de cette nouvelle naissance de l’esprit humain qui a été marquée par la philosophie grecque et ce tragique a été très imprégné du sens mystérieux de la mort car il avait de multiples formes de communication des profondeurs de l’être: la philosophie ne maniait que le verbe, le logos… la tragédie mettait tout en œuvre (le mouvement, la musique la danse…).
Parmi les personnages de la tragédie, Antigone (Simone Weil: La source grecque) nous intéresse spécialement car elle représente le cas de la révolte absolue du "Je" personnel de cette jeune fille qui met à l’épreuve son essence immortelle: elle veut donner une sépulture à son frère: elle nous met devant le sacré immédiat delà mort: le mort était sacré de par lui-même et lui accorder une sépulture c’était entrer dans ce processus de salut, de réalisation de son propre devenir après la mort (Comme en le remarque dans les anciens livres de prières, donner la sépulture à un mort, surtout à un étranger, c’est un grand acte de charité, c’est l’affirmation de la Communion humaine où soi-même on se dilate, on se sauve...)
enterrée
Antigone en bravant tout (elle fut condamnée à être enterrée vive) pour donner une sépulture à son frère avait déjà atteint un pressentiment d’immortalité.
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Lundi 15 Mai 1978
III. Itinéraire dans l’absence (suite)
La pensée occidentale et la mort. (suite)
Ce que nous sommes en train d’examiner ne se réfère pas uniquement à une donnée de l’histoire des idées ou de la culture occidentale mais aussi et davantage à une sorte d’introspection, de regard à l’intérieur de nous-mêmes dans notre substance pensante et dans notre sensibilité profonde actuelle et future car nous sommes pétris de toute cette matière que nous évoquons: nous sommes "marques" par la tradition grecque qui s0articule à travers plusieurs moments et en prenant des tournants déterminants pour notre schéma.
B SOCRATE
Avec Socrate, la pensée touche à son le moment de crise et d’affermissement.
Socrate incarne, comme rarement dans l’histoire de l’humanité, cette dignité exceptionnelle d’un être réel, créateur pas sa pensée mais, également symbole vivant de par son existence personnelle, les deux étant inséparables. Il est donc, à ce point de vue, toujours présent a l’horizon de notre condition humaine occidentale et, en grande partie à cause précise-ment, de cette subtile modification de notre attitude profonde vis à vis de cet autre problème profond qui est celui de la mort.
Historiquement parlant, Socrate est un homme qui meurt devant son terme mais il meurt d’un façon révélatrice d’un destin unanime pas seulement de son milieu immédiat (la Cité grecque) mais d’une sorte destin toujours valable pour la définition de soi, de l’homme de partout et de toujours. Il est mort parce que, condamne à mourir dans un contexte assez bizarre. La Cité grecque était déjà constitue en état démocratique.
Elle s’était libérée – comme par la suite le monde occidental le fera régulièrement... mais sans cesse! - d’une 1ère référence traditionnelle.
Elle avait été une monarchie, le roi étant un symbole pas seulement étatique ou politique mais religieux: Athènes l’avait rejeté. C’était donc un leur mouvement vers ce que nous appellerions aujourd’hui une cité séculière. Elle avait voulu instituer un autre rapport purement social rationnel, naturel.
Et voilà que cette cité laïque accuse Socrate d’impiété, de manque de respect envers les dieux de la Cité... plus encore: on l’accuse d’immoralité matérielle... en l’accuse de corrompre les idées.. donc de subversion et la 1ère subversion est celle contre les dieux, autrement dit contre le système de valeurs de la Cité grecque. Voici un 1èr élément ambigu.. équivoque qui a contribué à faire la grandeur (elle aussi peut-être ambiguë) de Socrate lui-même car, cette Cite "séculière" n était plus une société vraiment religieuse.. Elle avait elle-même opéré un "faux" inconscient dans son attitude envers la croyance religieuse qui fut la sienne: les dieux n’étaient plus, apparemment pour le milieu grec du temps de Socrate une réalité vécue jusqu’à la rendre présente d’une façon réelle.. ils n’étaient plus en contact de vie avec le peuple.. ils étaient là parce qu’ils garantissaient un système d’état et un ordre social. Socrate, à cet égard, pour être considéré à la fois comme un élément subversif anarchique (parce que, refusant apparemment ces croyances il menaçait un ordre que ces croyances paraissaient encore garantir) mais en même temps (Voilà l’élément d’ambiguïté!) il semble vouloir dénoncer, explicitement ou implicitement, cette attitude fausse de la société respective elle-même qui se prétend religieuse alors qu’au fond, elle utilise uniquement les dieux pour sa propre stabilité, sans les honorer selon en leur dû.
Ce n’est donc pas par hasard qu’on a pu comparer (et non identifier) - abusivement bien sûr, de très loin et un peu facilement - le procès de Socrate avec le procès du Christ et la mort de Socrate avec la mort du Christ.
On a voulu mettre comme en résonance (non en parallèle) le cas de cet homme exemplaire qui meurt sous une accusation de la part d’un état constitue (Socrate) et celui qui meurt sous une accusation de la part d’un état et d’une société religieuse (le Christ).. qui est condamné pour blasphème, fomentation de désordre et qui répond avec une sérénité, plus que cela, une vision, une science et une conscience merveilleuses de ce que représentait, en vérité le prix de sa mort.
Toutes proportions gardées, Socrate se tient lui aussi, devant un tribunal religieux et il doit répondre d’une accusation à laquelle il ne peut échapper.. Il le dit lui-même dans son Apologie: "Je pourrais très bien échapper à votre condamnation en faisant semblant ou en acceptant en paroles de changer mon attitude ou de présenter mes excuses… de vous donner raison mais, en faisant cela, je risque de me trahir, de trahir tout ce que j’ai dit jusqu’aujourd’hui, de trahir une vérité, celle que je suis croyant, autrement peut être que vous ne le pensez!"
Voilà surgir ici l’image d’un 1ér Homme moderne occidental. En quel sens ?
Dans le sons que, face à une situation ultime, limite, qui risque de l’exterminer, de le tuer... qui demande le prix non seulement de sa vie physique mais celui de sa personne morale et intellectuelle, Socrate choisit de mourir. Dans cet acte même il montre implicitement qu’il y a, apparemment une saison (ou une valeur) qui peut l’emporter sur la mort et sur la vie personnelle… Celle-ci n’est donc plus à l’intérieur de sa structure sociale, la valeur ultime, suprême, pour un être conscient… de quoi? D’une autre chose!... de ce qui marque le tournant dans la conception grecque, de ce que nous avons appelé l’immortalité.
La mort fournit à Socrate et à Platon son disciple l’occasion de lancer philosophiquement cette nouvelle vision et ce nouveau message:
"Je peux mourir en paix, non pas uniquement parce que je suis sûr de mon innocence et que je dois défendre la vérité de ma vie personnelle mais parce que, finalement, vous pouvez me tuer mais vous ne pouvez rien me faire car je suis le tenant d’une âme immortelle!"
Et c’est le commencement de la prise en charge par la pensée philosophique de ce fond religieux qui avait fait de la mort symboliquement mais réellement un lieu d’expérience religieuse à travers un ensemble de rites et de traditions initiatiques. Socrate prend en charge à titre de pensée philosophique (non plus à titre de religion traditionnelle) cette idée cette réalité de la mort, pour lui faire face autrement que ne le faisait toute la tradition des religions à mystères. Le désir profond de la pensée grecque qui commence ici est de libérer, autant que possible, certains éléments de cette sagesse traditionnelle et de les donner au plus grand nombre à travers un langage et une sagesse philosophiques.
Et voici Socrate qui lance le mot-clé qui va dominer longtemps la pensée occidentale de l’immortalité de l’âme.. c’est celle-ci qui est le prix de son acceptation profonde de cette mort que ses disciples s’accordent à qualifier "d’injuste". L’immortalité représente, pour l’être humain personnel, la réponse assurée devant le fait fatal de la mort: avec la mort de Socrate est lancée une nouvelle catégorie philosophique: celle de l’immortalité de l’Homme dont il sera possible désormais, d’on parler en termes philosophiques... c’est ce que fera Platon, le disciple de Socrate, à tel point que, même dans une ambiance de foi chrétienne nous sommes toujours inconsciemment encore platoniciens, tant son empreinte fut profonde!
C. PLATON - son message -
Platon nous met devant une distinction entre l’essence immortelle, en grec la psyché, l’âme qui échappe à la mort et ce qui est mortel dans l’homme, sa corporéité, son corps, Platon est encore ici, le porte parole de cette sagesse mystérieure et mystérique issue du plus profond de l’Orient, dans les temps lointains, de ces mystères du culte d’Éleusis qui fut la pointe la plus poussée de cette tradition spirituelle et religieuse venant de l’Asie et dont la disparition a marqué l’avènement de l’esprit sceptique, rationnel, encore plus moderne que celui du "tournant de Socrate.. C’est donc Platon qui donne une formulation philosophique à ce contenu de sagesse mystérique et prend à son compte en l’amplifiant beaucoup le message essentiel de Socrate: l’immortalité de l’Homme.
C’est d’abord un problème purement philosophique.
Qu’est- ce à dire une "âme immortelle"?
Platon continue la voie pythagoricienne qui, déjà, avait lancé une expression célèbre, presque un "mot d’esprit" en définissant le corps (en grec, soma). Pour lui, "le corps est un tombeau".
Formule qui va très loin... Si le corps est un tombeau, qui est l’habitant de ce tombeau ?
Ce ne peut être un cadavre !
C’est ce qui est, par essence, immortel: c’est l’âme. Ainsi, dans la condition corporelle, l’âme se trouve dans un état qui ne lui est pas propre, naturel, de son point de vue à elle...
C’est un état qui est naturel au point de vue du corps mais il est antinaturel du point de vue de l’âme qui, pour arriver à sa propre nature, devrait aspirer à se libérer de ce tombeau!
On voit à la même époque les tragiques grecs (eux-mêmes, comme Eschyle par exemple des initiés d’Éleusis) faire passer cette "sagesse" dans leurs œuvres.. "Qui sait si cette vie n’est pas la mort et si la mort n’est pas une vie dans le monde d’ailleurs?"
sur cet arrière plan puissamment résumé dans cette phrase :
"le corps est une prison pour l’âme"
le problème se déplace du côté du corps vers le côté de l’âme et on a là le message essentiel (en simplifiant beaucoup!) de la pensée de Platon: "ce qui m’intéresse c’est l’âme. Pourquoi? Parce que le corps est, par définition, mortel et qu’un philosophe ne peut s’intéresser qu’à ce qui est impérissable... donc vrai!".. De là découle cette autre phrase – clé de Platon: "la philosophie n’est que considération ou exercice de la mort".
Le véritable philosophe, en effet, poursuit constamment la méditation de la mort mais pourquoi? Parce qu’il cherche la vérité.
Or, le corps, de par sa nature est un obstacle à la vérité... plus que cela: c’est une source d’erreurs puisqu’il perturbe sans cesse l’esprit par les informations fausses approximatives, qu’il nous livre sur le monde ("les sens nous trompent!") de par ses mouvements, ses désirs, ses appétits propres qui obscurcissent la sérénité de l’esprit.. Dans cette perspective nous pouvons dire que nous avons tout platon (ce qui pourrait paraître prétentieux!) c’est là, effectivement, le coeur du message platonicien.
Mais comment peut-on dire en termes philosophiques que l’âme est immortelle et qu’en résulte-t-il?
Platon a donné, comme réponse à ce question, plusieurs arguments philosophiques… Certains d’entre eux entaient encore très proche de cet arrière-fond de mystère que Platon voulait faire passer dans la conscience du plu grand nombre.
L’argument principal est que: l’âme est simple… c’est le corps qui est composé. Bien sûr, cela n’était pas, d’abord, dit tel quel… mais c’est un aboutissement.. le fruit d’une très vaste et très serrée poursuite de la pensée extrêmement forte, d’autant plus forte que Platon n’avait pas (il ne faut pas l’oublier!) tous les instruments scientifiques de connaissance et d’expression dont nous disposons.. il n’agissait vraiment que par le logos, la parole, et ’on ne pas manquer de sentir une impression émerveillant devant cette puissance de la pensée qui prend possession d’elle-même, chez Platon à tel point qu’aujourd’hui encore la lecture de certains "Dialogues" n’est pas chose facile.. il y faut une concentration, une présence de l’esprit pensant qui n’est guère banale.
Ce qui est simple est incapable d’être divisé, corrompu et… est aussi invisible: l’âme échappe à ce qui, étant composé, se situe nécessairement dans le règne du temps et se décompose. L’âme étant simple, indivisible, unique, incorruptible et donc.. éternelle.. au-delà du
De plus, il y a, dit encore Platon, une fonction de l’âme qui est celle de régir le corps… et ici, commence le 2éme versant de la réflexion platonicienne qui est de type éthique, moral. Si âme régit par la vocation le corps, il faut qu’elle met un ordre dans le mouvement du corps qui peuvent la perturber et, en la perturbant, l’obscurcir, l’empêcher de se souvenir de sa véritable essence immortelle: c’est le fondement de toute l’éthique, de l’essence grecque reprise ensuite par les autres écoles..
Platon passe ensuite dans le domaine religieux…
Si c’est ainsi, c’est que l’âme est semblable au dieux qui régissent le monde.. elle a quelque chose de divin en son propre emploi, sa nature, est de se tenir au côté du divin, de le comprendre, de le réfléchir… et Platon fait un dernier grand saut en disant: "l’âme qui est simple, incorruptible etc... préexistait au corps. Il y a une chute de l’âme dans le corps qui fait la vie et il y a une remontée après la séparation de l’âme et du corps que nous appelons la mort, signifiant pour l’âme, la réintégration de sa véritable nature en son véritable lieu.
Toute âme dans un corps peut et devrait se souvenir de son état auprès des dieux avant la chute dans le corps.. et ce souvenir s’appelle anamnèse, terme très riche de sens, qui évoque non pas le souvenir d’une chose dans le temps (proposé par les sens) mais le rappel immédiat d’un état d’éternité qui peut être suscité de plusieurs façons: soit par la méditation philosophique de la mort, soit par un certain exercice ascétique qui purifie. En effet, le fait d’avoir réfléchi sur ma qualité d’être immortel a pour conséquence logique que j’accorde moins d’attention à ce qui est mortel: les besoins corporels, terrestres etc... et mon âme se libère...
Cette libération m’allège: je deviens libre de la passion de l’argent ou de la gourmandise..je maîtrise cette nécessité corporelle que je respecte: je ne puis la maîtriser totalement (car alors je me suiciderais) mais je peux la dominer de plus en plus et ceci étant, je fais comme si j’étais en train d’éliminer petit à petit en moi les traces de la mortalité... traces qui me viennent à travers l’emprise du corps sur l’âme.
Ambiguïtés d’un certain platonisme
Le platonisme a contribué d’une façon ambiguë à marquer notre méditation philosophique sur le problème de la mort car, comme le disait Nietzsche: les chrétiens pratiquent très souvent un platonisme "de la rue", vulgaire... Pourquoi? Parce que trop simpliste: la représentation de ce monde-ci entraîne à concevoir l’autre monde aussi, en termes physiques: un peu comme cette métaphore qu’on trouve souvent: "il y a une cage matérielle: le corps.. dans le cage une oiseau: c’est l’âme. A un moment donné l’oiseau prend le vol! ouf! dit-il: "je me suis libéré… retournons vite en haut !"... Et je conçois cet en-haut comme un duplicata de ce monde-ci un "double".. conception vraiment trop simpliste et qui peut être celle des croyants lorsqu’il s’agit d’imaginer l’inimaginable… c’est pour eux comme un étage supérieur en plus fin, en plus subtil, en plus agréable de ce bas-monde.
Autre ambiguïté: on a l’impression dans ce platonisme (ce n’est pas Platon qui en est responsable!) non seulement de "mépriser" le corps mais encore de lui ôter toute signification philosophique.. On peut dire, qu’avant de Christ, la pensée philosophique n’as pas réussi à faire place au corps dans la vérité de l’être: dans l’au-delà de la mort, le corps devait, tout au plus, être laissé quelque part en route ici-bas comme comme une prison dont on se libéré.. d’où ce certain mépris pour le corps avec tout ce que cela comporte comme conséquence pour l’histoire concrète, la morale concrète (problèmes de violences de relations humaines, justice sociale, de structures de société). Le corps n’est pas reconnu comme faisant partie de la destinée profonde et ultime de l’être...il ne le sera qu’avec la révélation et la révolution christiques où, comme le dira St Paul: il n’y aura plus ni juif, ni grec, (juif - symbole de celui qui, par delà la raison ou la religion cosmique prétend recevoir uniquement la religion révélée de Dieu; grec: l’homme qui fonde sa connaissance et sa raison d’Être de l’intellect et de l’acte humain). "Alors que les juifs demandent les signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons, nous, Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens..." (l Cor L. 22-23) - Avec le Christ incarné, mort et ressuscité, le corps a été assumé
L’amour platonicien
Ce qui est le fondement de l’être chez Platon c’est l’Eros, puissance de vie, instinct de l’amour.
Pour Platon, l’amour signifiait le moment où ce qui était sépare divisé, se trouvait réuni. Il suggérait l’image d’un monde originaire où l’être était rond (non au sens physique mais au sens de perfection.. pas d’angle.. tout à égale distance du centre). A un moment donné il y a eu une rupture, une division, une section ou une sexion (mâle, femelle... homme, femme, deux moitiés d’un même être). Au niveau humain, s’aimer c’est refaire cette unité originale (pas nécessairement par l’union physique!) C’est retrouver dans l’âme cette autre moitié présente dans un autre être. En faisant l’unité de ce qui était rompu l’âme, en quelque sorte, touche, frôle son immortalité essentielle.
A l’instant de la mort, le corps et l’âme se séparent: l’âme alors retrouve cette unité qui avait été obscurcie par sa chute dans le corps et dont elle ne se souvient que dans l’instant de l’amour où l’Harmonie cosmique chante intérieurement.. et c’est une beauté un peu comme celle qu’on goûte en écoutant quelque grand musicien puisque la musique est aussi un rapport harmonique entre nombres...
L’âme alors est libre.. elle oublie son corps.. elle est dans une sorte de ravissement, d’extase!
D. Aristote 1. L’intellect – agent
Aristote, ancien disciple et rival de Platon va se détourner de ce ciel platonicien idéal pour se tourner vers la connaissance de l’ intellect et du monde physique moral, social.
Reprenant l’idée d’immortalité d’abord nous pouvons distinguer l’immortalité personnelle et l’immortalité impersonnelle.
a) personnelle Dans la ligne platonicienne, nous sommes tentés de considérer que si notre âme s’en va... nous nous retrouvons chez nous et nous retrouvons aussi tous ceux que nous avons connus... nous reprenons tout ce qui a été le plus agréable ici-bas, c’est une sorte de "redoublement et nous sommes satisfaite.. cela est peu honorable de se satisfaire de si peu... Nous sommes, en fait, peu libérés, même au moment où nous parlons de liberté puisque nous voulons retrouver à un niveau supérieur, amélioré ce que nous avons vécu ici. Notre imagination n’arrive pas à faire une percée vers l’inimaginable, (non l’irréel).
B) impersonnelle Aristote dit qu’il y a quelque chose d’immortel dans l’homme mais ce qui est immortel c’est ce qu’il y a de plus impersonnel, de plus universel qu’il appelle l’intellect-agent.
Dans mon intellect, il y a quelque chose qui est nourri par les sens: c’est la perception immédiate laquelle est une opération intellectuelle mise en mouvement par les sens. Mais, il y a un intellect supérieur qui, au lieu d’être passif (je reçois de l’extérieur) est lui-même actif: au lieu de recevoir il imprime les idées universelles: il oblige tout ce qui est matériel, brisé, fragmentaire, de laisser entrevoir un sens universel: (je ne vois pas l’homme mais des Hommes).
Ce qui, en moi me permet de parler d’espace, de temps, de causalité etc... c’est qu’il y a un intellect supérieur qui, au lieu d’être passif, donne le sens universel... et cet intellect n’est pas affecté par la mort...
Ainsi, il ne faut pas parler d’âme immortelle, au sens quelque peu restreint, mais d’une sorte de réintégration au-delà de la personne respective puisque cet intellect qui est en moi, individu personnel, n’est pas mon intellect: il est l’intellect de tout.. Il y a un intellect ultime et cela est impersonnel, universel... Par là, Aristote annonçait et infléchissait l’avenir de la culture européenne puisqu’il annonçait l’universalité de la raison et de l’instrumentation de la raison qui est la technique (aujourd’hui, la technologie permet d’avoir la même télévision à Pékin, à Paris, à Buenos-Ayres, à Lassah!)
2/Le stoïcisme
Un autre courant très important est celui du stoïcisme (école du portique) et Aristote est contemporain d’une grande rupture de niveau, celle de l’Hellénisme.
Aristote fut le maître de celui qui allait faire éclater le monde quelque peu fermé (Ionie) d’alors: le conquérant Alexandre qui ira aux Indes, en Égypte.. non seulement pour conquérir mais pour préparer des ouvertures, des synthèses, des communications, des osmoses nouvelles entre les civilisations asiatiques, perses, égyptiennes, syriennes, judaïques, grecques. L’empire d’Alexandre fut une 1ère universalité concrète.
Une philosophie qui se situe presque au niveau de cette condition de l’homme c’est le stoïcisme qui prend beaucoup sur les philosophies antérieures mais qui est cosmologiquement comme celle d’Héraclite: il voit le cosmos réglé par un ordre immanent (en lui-même) d’origine divine, animé par un feu divin, non matériel, qui anime aussi les âmes.
Le stoïcisme donne un code de vie, pas tellement une réflexion philosophique "à la Platon" mais un code total, disant notamment que, ce qu’il faut, c’est vivre selon la nature, selon l’ordre naturel qui est signifié dans chaque être par la raison et à l’intérieur d’un groupe humain par un système moral de relations. Il s’agit, pour l’homme, de s’intégrer et de ne pas troubler cet ordre animé par le feu divin dont l’âme est peut-être une étincelle et va retourner dans ce brasier, après la mort.
Ce qui est important c’est que les stoïciens ont une morale concrète (et une ascèse) qui a influencé tout le monde: les premières générations chrétiennes ont été contemporaines de cette tradition stoïcienne et l’héritage philosophique grec a été assumé par Rome: les romains n’étaient pas de grands métaphysiciens ni logiciens.. ils étaient militaires, organisateurs d’empires, bâtisseurs mais le courant stoïcien mêle a l’épicurien (Cicéro, Sénèque, Epictéte etc.) marque les romains car ceux-ci allaient prendre en charge l’immense ensemble œcuménique crée par Alexandre.. en attend le vaste renversement opéré par le christianisme.
Les stoïciens ont beaucoup développé une pratique concrète de l’être humain face au problème de la mort qui se résumait dans l’"apathie" état de domination des passions, celle-ci étant considérées comme un élément perturbateur et une trace de la mort. On s’exerça donc concrètement à affronter la mort concrètement au point d’accepter la mort avec sérénité une apathie ultime, a telle enseigne que, vers la fin de l’empire romain, pour beaucoup des stoïciens, la mort volontaire, le suicide était couramment admis et même pratiqué dans des moments d’impasse totale: maladie, condamnation par l’Empereur, déclin, échec etc. Nous trouvons là, en filigrane, une problématique très moderne de l’euthanasie. Ce code de vie devient donc un code de mort: c’est l’apport fort du stoïcisme qui commence par la reconnaissance de l’Homme naturel contre lequel il ne faut pas se révolter… au contraire, il faut se concentrer sur l’harmonisation de la part de la nature que "je" représente entre moi-même et mes passions pour arriver à cet état d’apathie, de domination des passions, de sérénité au point que même l’épreuve suprême de la mort me trouvera debout, serein et même volontaire..
Inutile de dire combien en découvre une inévitable ambiguïté, essentielle, que nous avons inscrite comme sorte d’absolu dans la réalité de la mort entre ce que nous avons appelé l’en deçà et l’au-delà entre le problème et le mystère… Le stoïque était même parfois objet de dérision de la part des sceptiques et des cyniques dans le monde antique... un peu à la manière de notre Gribouille du Moyen Age qui passait un jour sur un chemin par une pluie torrentielle et qui disait: "Oh! je vais être mouillé… Je n’ai rien pour me couvrir!" Or voilà que Gribouille aperçoit un lac et s’y jette pour se protéger de la pluie!... On a relevé cet aspect dérisoire avec tragique du stoïcien qui voulait affronter la mort en son ultime présence en s’y jetant pour la vaincre. Il y avait là un tragique involontaire puisque c’était le tragique de la condition humaine qui, en voulant faire face à la mort ne faisait que la précipiter elle-même et s’y précipiter lui-même.
Dans toute cette tradition et pratique sur la mort il y a une poursuite du salut (sotériologie). La mort est là comme une menace.
Comment me sauver d’elle? Qu’y a-t-il dans l’être humain à sauver de la mort?.. Il y a une grandeur tragique à sa pointe extrême puisqu’elle s’applique à "assumer" la fatalité.
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Lundi 22 Mai 1978
III. Itinéraire dans l’absence
La pensée occidentale et la mort (suite)
Le gêne philosophique majeur est celui de la pensée grecque.
Le stoïcisme qui se situe avant et après Jésus Christ a connu la période de l’émergence historique du christianisme, autre élément majeur de définition de vie et de pensée. Comment se situerait le christianisme vu en termes de philosophie ou d’Histoire en tant que présence de l’Occident dans la pensée philosophique?
E. Le christianisme
C’est un lieu commun de dire qu’après le Christ, nul ne pourrait plus philosopher comme avant le Christ.
Le christianisme n’a rien, essentiellement, d’une philosophie: il représente même le "scandale" majeur, face à la tradition philosophique grecque et les autres formes de religion... Un St Paul en donne une expression véhémente, quasi insolente; il jette à la figure de ces honorables philosophes qui réglaient la pensée et la mentalité du monde antique des paroles extraordinaire "Dieu a choisi les pauvres, les insensés, ceux qui ne «sont» pas... ceux qui n’ont pas un statut... pour confondre ceux qui «sont»".
Le christianisme a donc surgi en dehors de cette tradition philosophique à un titre absolument autre: il est venu comme une révélation s’incarnant dans le destin concret de l’Homme et, avec la révélation, le domaine de l’être humain a été étendu jusqu’aux dernières limites.
1. Changements de perspective
a) Corps
1) a) Un premier élément important: de par son message essentiel, la Résurrection du Christ et donc la résurrection de l’être humain, le dernier obstacle qui faisait toujours "noir" devant la pensée philosophique:
Le corps
est également pris, enlevé dans ce message.
Le corps n’est plus, désormais, un élément à refuser, à mépriser, à ignorer, à contourner ou à escamoter par une interprétation quelconque…
Il est destiné à la même finalité, à la même réussite ou au même échec que la totalité de l’être: il devient transparent et il est, autant que n’importe quelle autre forme de présence de l’être, porteur de symboles de lumière, de révélation. C’est là le fondement le plus puissant du langage iconographique des premiers siècles chrétiens qui rompaient avec toutes les traditions religieuses antérieures pour lesquelles Dieu - à juste titre - n’était pas représentable: "Tu ne sculpteras pas... etc". Le corps peut représenter Dieu, il n’est plus un écran, un obstacle... Il est, autant que l’âme, significatif de Dieu parce qu’il a été bénéficiaire de la Résurrection... mieux encore, il est l’objet et le sujet de la révélation de la Résurrection...
b) Eternité
b) Le champ de l’être s’étend jusqu’à l’Eternité de Dieu. L’homme a accès à une durée qui, pour la révélation chrétienne, n’est plus limitée à cette seule durée terrestre. Elle est intrinsèquement ouverte à l’Eternité. Parce que, le Christ est venu dans le monde, cette éternité est déjà virtuellement commencée; elle est tout à fait différente de l’immortalité de l’éme, elle est l’effet de cette nouvelle ouverture dans l’être...
Le corps devenant objet aussi justifié et justifiable de la pensée philosophique l’Éternité est aussi présente en tant qu’ouverture réalisée dans le Christ à n’importe quel être... Quelle explosion! Bien sûr, cela ne s’est pas fait à la minute mais petit à petit comme le levain qui fait "lever" la pâte... mais tout a été bouleversé dans la sensibilité, le comportement de l’être humain: "L’aube de la Résurrection marque l’entrée dans l’histoire de la plus grande révolution" (Hegel).
2/ Liberté libérée et responsable
2/ Le christianisme, de par sa nouvelle vision, restitue à l’être humain sa liberté. Celle-ci a été libérée... donc, elle n’est plus uniquement une liberté fonctionnant dans le cadre des données purement naturelles... elle est inaliénable de la structure du monde: "je suis libre parce que j’ai une volonté"... mais cette liberté est toujours menacée par cette tragique présence de la mort... Or, voici que le christianisme libère cette liberté: "Si tu es «enté» sur la nouvelle vie du christianisme ta liberté n’a plus rien à craindre: ni la vie, ni la mort, ni les obstacles naturels... tu peux désormais, disposer de tes moyens pour inventer, améliorer …". D’où:
un surcroît de responsabilité.
Cette liberté est responsable devant ce nouveau système de valeurs... et aussi se projette à travers l’histoire (je pose une question à Dieu, à mes semblables, de par ma liberté, et leur réponse nouvelle se transmet constituant ainsi l’Histoire).
Ici s’ouvre un aspect auquel on ne fait pas toujours attention mais qui est capital pour notre thème: un
Aspect d’ambiguïté
car la liberté de l’Homme ainsi restituée, agissante dans l’Histoire d’une façon créatrice obtient, peut être plus que par le passé, un champ d’action quasi infini avec une possibilité de se centrer en elle-même jusqu’à l’oubli de Dieu (St Augustin: deux amours ont créé deux Cités: l’amour de soi jusqu’a l’oubli de Dieu, l’amour de Dieu jusqu’à l’oubli de soi). Autrement dit, le nouvel exercice de la liberté "libérée" devient, en soi, quelque chose d’enivrant sans limites, sinon celle de la responsabilité. Or, celle-ci, je peux l’oublier sur ce nouveau parcours... Il y a un danger certain de sécularisme et d’humanisme athée: l’homme semble se suffire à lui-même et il oublie de qui il tient cette suffisance nouvelle qui ne lui fait plus craindre la mort et semble s’étendre au-delà de toutes limites... C’est ce qui se passe en Occident à partir d’un certain moment... Laplace, par exemple, en 1806 termine son fameux traité de "Mécanique Céleste": c’est une première vision mathématique du système de l’Univers... Il le présente à Napoléon qui le lit, rappelle Laplace et lui dit "Je ne vois pas qu’il soit fait mention de Dieu dans votre ouvrage!". Le savant lui répond: "Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse!"... Ce n’est pas qu’il fût athée... mais il avait découvert un système se suffisant à lui-même et purement séculier ...
Cela peut s’étendre à d’autres domaines (social, moral, économique ...) Cette ouverture de la liberté comporte un surcroît de responsabilité et le christianisme s’oppose à cet humanisme autosuffisant.
3. Nouveau sens de l’amour
3. C’est à l’intérieur de cette entrée de la vérité chrétienne que de nouvelles catégories de vie et de pensée se constituent... Parmi, elles,
l’amour
au sens nouveau: l’amour de Dieu pour l’Homme, impensable dans la philosophie grecque, la fidélité, (comme catégorie de pensée philosophique), la réconciliation totale de l’être avec soi-même, avec Dieu, avec le monde, l’espérance et la désespérance, l’angoisse. Ce dernier terme est extrêmement moderne... l’angoisse dans le sens de Kierkegaard remonte à 130 ans... elle est née d’une insistance chrétienne sur la condition de l’Homme face à Dieu et face au monde ...
Il y a donc eu un démarrage nouveau dans la philosophie. La philosophie médiévale croyait pouvoir se référer encore à Dieu d’une façon harmonieuse jusqu’au moment où, à la fin du Moyen Age se fit jour cette tension, inscrite comme une possibilité dans la liberté de l’Homme qui pouvait tourner le dos à Dieu, l’oublier... mais qui, en faisant ceci, peut-être sans s’en rendre compte, accomplissait la volonté de Dieu sur l’Homme, lui donnant la possibilité d’aller jusqu’au bout de son destin d’être libre et créateur en prenant tous les risques comme Dieu les a pris en créant l’Homme libre.
Nous allons enjamber la 2ème période du Moyen age pot arriver au 16e siècle: celui de la Renaissance.
F. Renaissance - 17è siècle
Au 16e s. on assiste à une ouverture extraordinaire, géographiquement, vers les mondes nouveaux... culturellement vers une récupération, rendue possible par les arabes, des autres horizon grecs, orientaux etc.... Socialement, l’Europe entre dans une phase nouvelle d’affirmation (des états et des individus) définie par certains principes exclusifs: langue, nation, forme de régime... On pourrait prendre ici un seul cas parce qu’il représente à la fois comme une sorte de conscience chrétienne, de puissance de pensée philosophique et d’anticipation sur le destin de la philosophie occidentale jusqu’à nos jours, à savoir :
PASCAL
Pascal a été incontestablement un penseur ("Les Pensées") très moderne: inventeur du calcul des probabilités, de la machine à calculer qui devait donner nos ordinateurs après plusieurs métamorphoses... mais aussi un chrétien profondément attaché au mystère du Dieu vivant.
Références pascaliennes
On pourrait aborder Pascal selon 3 lignes d’approche:
1) Il se situe résolument, ce qui était assez curieusement innovateur, dans la mentalité ambiante qui commençait à oublier la mort comme thème philosophique et il dénonce, comme une situation de fait: l’indifférence devant la mort. Il dit, en substance: "Le destin mortel de l’Homme est une chose qui nous touche si profondément qu’il faut avoir perdu tout sens de l’être pour rester dans l’indifférence de savoir ce qui en est... Je ne trouve pas utile de nous interroger sur le bien fondé de l’opinion de Copernic (ceci est très révélateur de la part d’un scientifique) ceci se résoudra de soi-même par la recherche scientifique, mais il importe à toute vie de savoir si elle est mortelle ou immortelle car autrement il n’y a pas de bien en cette vie qu’en l’espérance d’une autre vie... on ne peut être heureux qu’à mesure qu’on s’en approche... Comme il n’y aura plus de malheur pour ceux qui avaient une entière assurance de l’Eternité... il n’y a point aussi de bonhour véritable pour ceux qui n’ont aucune lumière …". Pascal introduit de façon assez systématique le point de vue existentialiste: "Je" meurs: c’est le problème de l’être qui débouche sur le mystère... l’existence de l’être concret est devenue thème philosophique de pensée.
2) Une 2e ligne de l’approche pascalienne est celle qui se traduit par la fameuse phrase: "la source de tous les malheurs de l’Homme c’est l’impossibilité de rester 1 h. de temps seul avec lui …". Or, si je reste seul avec moi-même, je peux trouver dans ce mystère que "je" représente, les réponses de quoi occuper toute ma vie... si je ne le fais pas c’est que je suis un "agité"... un être qui peut faire beaucoup de choses mais dans une sorte de fuite…". Il anticipe de façon étonnante une conduite de l’Homme qui devient de plus en plus évidente de nos jours: celle d’une fuite de soi.
3) Une 3e ligne d’approche est celle du fameux pari sur l’existence de Dieu.
Pascal s’attache à démontrer, pour ainsi dire mathématiquement que, dans l’ignorance, l’homme a tout intérêt à "parier" pour l’existence de Dieu... Parlant en apologète il dit "Dieu est, ou il n’est pas"... Il est impossible de prouver l’un plutôt que l’autre... Cependant, en croyant que Dieu existe, nous avons tout à "gagner" (il emplois des termes de mathématicien dans l’ordinateur, il n’y a que deux signes) si un jour, il était prouvé que Dieu n’existe pas, nous n’aurions rien perdu... Il faut parier, il faut "choisir" car nous sommes engagés... nous sommes "dedans" et obligés de faire un choix, c’est inscrit dans notre liberté... ce n’est pas un destin mais l’accomplissement de notre liberté.
Après avoir franchi cette étape de l’existence de Dieu, Pascal va beaucoup plus avant... jusqu’au mysticisme dans "le Mystère de Jésus" et le "Mémorial" qu’il gardait dans sa doublure despuis la nuit d’extase où il trouva la "certitude".
Joie, joie, joie, pleurs de joie! Etc.
G Le 18e siècle - V Un rien d’oubli
Organiser l’oubli de la mort. La civilisation scientifique pleins pouvoirs (de) (sur) la vie et les ruses de la mort.
Au 18e siècle, grand tournant! Une tradition nouvelle dont nous sortons aujourd’hui avec beaucoup de peine, se constitue: c’est le "siècle des lumières", du rationalisme, des premières grandes inventions techniques (tissage, machine à vapeur)... Le monde aussi s’attache a la révolution du système social et culturel (révolution française)... avec ce siècle, on assiste à une indifférence sur le thème de la mort. Celle-ci devient un phénomène gênant qu’on ne sait plus "situer" socialement et dans l’imaginaire (comme représentation, iconographie pratique). Il y a un rejet de la mort vers une marge de la société et de la pensée pour laisser occuper l’ensemble de l’espace humain par l’entreprise de la liberté "déchaînée" de l’homme ne s’appliquant qu’ à la découverte, à la recherche du plaisir quotidien dans une société furieusement centrée sur elle-même, de nouveau remplie de sa propre suffisance, ignorant le reste du monde ("Comment peut-on être persan?).
a) Les éléments de ce tournant peuvent être décrits comme une première pénétration, déjà accomplie en profondeur du
protestantisme
qui datait déjà de 2 siècles...
Le protestantisme a marqué, pour l’homme occidental un bouleversement assez radical dans son attitude religieuse en opérant une première sécularisation de tout ce qui, jusque là, occupait complètement l’espace de l’homme (social, culturel...). En bref, le protestant n’a, comme référence religieuse que "la foi seule"... et pour lui, le test de la véritable attitude chrétienne est celle de la réussite dans la vie d’ici-bas... Par ailleurs, la pauvreté devient vice ou honte... et celui qui est pauvre est paresseux…
b) A cette imprégnation subtile d’une nouvelle éthique s’ajoute une nouvelle définition de l’esprit scientifique.
La découverte de la science expérimentale, donc la matière devient la clé de l’explication totale de l’Homme et du monde (engouement, enthousiasme enfantin pour la science expérimentale!). Le machinisme commence timidement (les automates, Vaucanson) à tel point que, dans ce siècle, on voit s’élaborer sérieusement une explication de 1’homme sous la forme de la machine (La Mettrie: l’Homme machine, d’Holbach... etc.) et cela est fait avec une sorte de candeur poétique de découverte du monde tout comme les explorateurs qui débarquaient chez les sauvages (Eldorado) ------ "je découvre enfin, par réaction contre ce que les méthodes théoriques antérieures m’empêchaient de voir... tous les mécanismes: circulation du sang, fécondation etc. …".
c) Ce qui voulait devenir une explication totale de l’Homme devenait aussi le fondement d’un programme social, moral et politique nouveau.
"Essayons de bâtir sur ces nouvelles données une nouvelle société et un nouvel avenir de l’Homme!"
Ainsi, de nouveau, le problème de la mort ne devait pas se poser directement parce qu’il empêchait cette attention donnée à un projet immédiat de réalisations matérielles, sociales, culturelles. Mais, les savants ont été guillotinés... la mort était là bien qu’expulsée du champ de l’attention philosophique et éthique, revenant sous la forme d’un fait divers et quotidien (tout le monde sait que la Révolution n’a pas été faite par des "enfants de cœur!") et c’est, de nouveau
la dérision! …
La mort qu’on ne voulait plus reconnaître envahissait, de nouveau, l’horizon de l’Homme …
H. LE 19e siècle
Kierkegaard - l’angoisse
Au 19e s. nous voyons émerger un philosophe curieux, singulier. Kierkegaard qui apparaît sans aucune référence immédiate à l’ambiance philosophique du temps qui était entièrement dominée par Kant et Hegel.
Kierkegaard est un penseur "solitaire": "A la place de Mr. le Professeur Hegel sur sa chaire de philosophie à Berlin, je préfère le penseur privé, Job, sur son tas de fumier" (allusion au tragique, à la déchéance de la mort).
Kierkegaard vient fulgurer en disant que, par exemple, le véritable commencement de la philosophie n’est pas dans l’étonnement de l’intellect (anciens) mais dans le désespoir, la désespérance, l’angoisse, indépendante du péché, liée même à l’innocence (Job) et c’est en cela qu’elle est sans raison et sans remède: aucun discours philosophique ne peut guérir de l’angoisse existentielle.
L’angoisse se rapporte à l’expérience concrète de la liberté face à la mort... Elle est différente en cela de la crainte, philosophiquement parlant… Le concept de l’angoisse s’est constitué à la fin du 19e siècle dans son ordre propre en tant que syndrome d’un état observable de l’être…; dans cet état interviennent parfois des causes physiologiques qui peuvent être à l’origine d’une sorte de crainte vague, diffuse, panique et paralysante (s’il m’arrive d’être en état de panique mais que je suis sain je réagis, je m’enfuis, je fais face…). Dans l’angoisse il y a sentiment de danger imminent mais sans objet précis.
Pour Kierkegaard l’angoisse est cette expérience de la limite d’une liberté qui se réveille à sa possibilité qui repose sur rien... C’est comme le sentiment brusque d’une syncope de ma liberté, de ma finitude... (il n’est pas question de ma liberté matérielle mais de celle de mon être conscient). Ceci est l’aspect négatif de l’angoisse.
Au positif, avec la foi, l’angoisse est un moyen de salut: c’est la clé de la compréhension du sens de la vie car ce n’est qu’en la subissant que l’homme découvrira la véritable vérité: l’angoisse élève au-dessus de l’existence quotidienne qui est un escamotage de ce rien, de cette finitude... et le hisse au niveau de l’existence véritable: c’est en cela qu’elle est expérience du réveil: elle nous indique ce que nous pourrions être non par nous-mêmes mais en tant qu’êtres: c’est la possibilité ultime de la liberté.. mais quant à l’objet de l’angoisse c’est: rien... angoisse et rien se correspondent toujours mutuellement et l’effet de rien c’est de produire l’angoisse…
A partir de ceci on comprend combien la philosophie occidentale pas seulement comme exercice de salle de cours mais comme observation de l’histoire concrète de l’Homme occidental a fait attention à cet aspect de finitude…
Or, cet aspect de finitude sur lequel se greffent tous ces projets grandioses et très réels de l’homme, ne risquent-ils pas d’engendrer ce sentiment de l’absurde qui n’est pas l’absurde logique réductible et qu’on peut dépasser, mais cette réalité d’un monde où j’investis une sorte de grandeur infinie à l’intérieur d’une finitude reposant sur un "rien" et où je trouve la désespérance, c’est-à-dire un univers sans sortie et où je retrouve à un autre niveau cette fermeture qui m’est signifiée par la mort.
Vision Chrétienne
Le Christ a introduit ce qu’on peut appeler la prophétie du sens
De par l’introduction de la vision chrétienne dans le monde, celui-ci s’ouvre sans cesse à une dimension souveraine: celle qui décide du tout ou du rien et qui transcende continuellement chaque action ou chaque aspect de l’être vers son propre sens, son propre au-delà. Rien donc de ce qui se pose uniquement comme être ou que je pose comme résultat de mon action n’est valable totalement de par lui-même si cela ne mène à un sens qui le dépasse et qui, en le dépassant, le sauve. Pourquoi? Parce qu’il me porte au-delà, sans cesse... ouvre sans cesse au lieu de laisser se fermer la réalité de l’être tel qu’il est ou tel que l’homme l’a fait et qui peut s’étendre à l’indéfini.
Le christianisme apporte donc cette prophétie du sens... prophétie dont le propre est de porter en avant, clamer vers... De plus, l’être est plus que l’être par son sens et ce sens est une espèce de mouvement, de dimension, de transcendement (qu’il soit intellectuel, moral, spirituel, matériel, créateur...). Or, dans la philosophie occidentale, on est arrivé à se rendre compte d’une
déperdition de sens dans ce monde
qui est fondé sur l’expérience de la finitude non assumée du rien et du point de vue intellectuel absurde... Et l’on arrive à ce que Nietzsche appelle le nihilisme européen (v. roman "Père et Fils" vers 1860: révolte du fils contre le père symbolisant le refus de l’origine... je ne veux plus savoir que je dépends d’une origine... je suis moi-même suffisant... Je ne suis rien mais j’assume ce rien et j’essaie de le répandre...).
Philosophiquement parlant c’est le destin de la pensée européenne conjointe à la technologie qui, en voulant remplir le domaine de tout l’être par son agir et par ses concepts n’a fait, au fond, que répandre de plus en plus, sans s’en rendre compte, le sentiment du rien parce que, n’ayant pas de sens, je n’assume pas ma finitude, je ne fais que l’épaissir, je ne fais que me rendre compte que je suis un être pour la mort, dans le double sens du terme (Heidegger).
Psychanalyse
La psychanalyse, dernier née, jusqu’à nouvel ordre de la tradition philosophique et agissante de l’Occident (pas la caricaturale!) est une grande investigation dans l’être à travers le langage des signes. On a noté l’itinéraire premier de Freud qui avait repris toute la tradition philosophique et culturelle de l’Occident en se référant aux origines grecques (Œdipe...) et y incluait l’éros, principe du plaisir au sens d’accomplissement de l’être dans une satisfaction harmonique. Vers la fin de sa vie Freud avouait qu’il avait trouvé un élément encore plus profond, encore antérieur à ce principe du plaisir ("Au delà du principe du plaisir") c’est l’instinct de la pulsion de mort et il est remarquable de voir, chez le célèbre psychiatre, cette résurgence de la mort... Il voulait réinterpréter tout le destin de l’homme à partir de ses découvertes - il n’en avait pas les soyons, il l’avoue lui-même - mais il trouve que ce principe de la pulsion de mort divise tout l’être... l’éros cherche l’intégration et il finit dans une sorte de lieu tragique…
Heidegger, après avoir parlé de l’homme conclut "L’homme est être pour la mort": ce n’est pas une annulation de l’Homme mais une sorte de volonté de le comprendre, face à cette angoisse qu’il approfondit... Lorsque je meurs le temps est resté derrière moi, le néant aussi, l’acte de mourir tue la mort elle-même et tout ce que je peux dire, c’est que, tout ce qui est en moi et qui a été ce compagnon de l’être, se trouve maintenant plus près que jamais de l’être puisque la mort a été jusqu’à tuer la mort. A ce moment, je me retrouve au portail de l’être, dans ce passage du phénomène de la mort vers le Mystère!
Expression poétique
C’est peut-être dans l’expression poétique que l’Homme occidental au-delà de cette grandeur et dérision de la philosophie a approché le signe de la mort avec le plus d’ouverture, de compréhension et de consonance... à tel point que ce n’est ni grandiose ni dérisoire: il y a une sorte "d’émerveillement" qui "apprivoise???" la mort et la rend transparente vers son mystère. Une version française d’un poème de Rilke illustre cela de façon magnifique: c’est tout un programme de vie:
Fais Seigneur que l’Homme soit sain(t) et grand
Et donne-lui une nuit profonde, infinie…
Où il ira plus loin qu’on n’ait jamais été!
Donne-lui une nuit où tout s’épanouisse
Et que cette nuit soit odorante comme les glycines
Et légère comme le souffle des vents
Et joyeuse comme Josaphat!
Fais qu’il parvienne enfin à la maturité!
Qu’il soit si vaste
Que l’univers suffise à peine à le vêtir!
Et permets-lui d’être aussi seul qu’une étoile
Pour qu’aucun regard ne vienne le surprendre
A l’heure où son visage change, bouleversé!
Fais que le temps de son enfance
Ressuscite dans son cœur…
Ouvre-lui de nouveau
Le monde des merveilles de ses premières années
Pleines de pressentiments…
Fais qu’il lui soit permis de veiller
Jusqu’à l’heure où il enfantera sa propre mort
Pleine d’échos comme un grand jardin,
Ou comme un voyageur qui revient de très loin!
Très beau!
Le 29 Mai 1978
IV - Le point nul
Force et faiblesse de la mort. Le "passage de la mort"; la mort et le divin. La mort comme "expérience" et les questions de l’au-delà. Perspectives ouverte, par l’étude comparée de religions.
Alors que la mort constitue une présence matérielle qui enlève son propre objet et s’échappe en elle-même, ce qui constitue la phénoménologie dont l’approche revient à des sciences positives; si par ailleurs la mort est un chapitre évasif mais combien puissant de la réflexion philosophique, donc une sorte d’absence qui oblige à s’acheminer à l’ombre de cette absence sans pouvoir totalement la transformer en présence... l’approche religieuse, celle consignée notamment par la tradition religieuse de l’humanité tout entière et explicitée par l’étude comparée des religions pourrait être conçue comme particulièrement spécifique.
Elle se constitue à partir d’une prise au sérieux de la mort mais dans un cadre de sens et de réalité qui, en quelque sorte, annule la mort, non au sens phénoménologique - cela va de soi - non au sens réflexif - mais elle annule la mort en la présentant comme un élément subordonné à une réalité où, elle-même, n’a pas d’accès... La mort qui régné sans partage sur l’ensemble du monde phénoménologique ou naturel, la voici en perspective religieuse,
réduite à un point nul
car alors la vision part d’un autre lieu qui peut se permettre d’enlever la mort elle-même dans une autre perspective de sens... Et ceci commence par une investigation du plus ancien document humain dont en puisse disposer sûrement grâce à des techniques de datation très précises... (carbone 14 et autres moyens plus modernes encore).
En rappelant l’axiome: "Là où il y a le tombeau, il y a la religion" on peut dire que le point de départ considéré comme le plus anciennement repérable - mais qui est incertain quant à l’interprétation - est celui qui remonte à la civilisation paléolithique de la Chine 400.000 ans avant notre ère (Chou-Kou-Tien). On trouve à cet endroit (Chou-Kou-Tien) des cornes et des mandibules inférieures disposées selon une configuration qui évoquerait une sépulture (relation de sens entre celui qui opère la sépulture et celui qui est enseveli). Cependant l’avis des savants est partagé et on ne peut prendre cela comme un document indiscutable... Ce qui l’est, ce sont les documents très nombreux datant de la période moustérienne, se situant à partir de - 70.000 et attestant la présence d’une sépulture.
Le tombeau est, pour nous, la première inscription au sens le plus matériel, dans l’écorce de la terre... c’est un signal: ici est passé et a trépassé un vivant et ses semblables en ont inscrit la mémoire sous forme d’une conservation ordonnée de ses vestiges périssables, donc en le situant, lui qui n’est plus là, dans un autre ordre de présence qui est une présence d’anamnèse, de respect, de durée dans l’absence, de communion ou peut-être de communication... tout ceci révélant, ne fût-ce qu’à l’état de suggestion, le fait que le tombeau marque comme une
béance soudaine
par où la mort permet l’échappée vers quelque chose d’autre... D’où le statut incontestable du vestige du corps défunt en tant que statut ambivalent. Il est sacré dans le double sens positif: d’élévation et négatif, de répréhension…
(Le terme "sacré" signifie à la fois ce qui este intouchable, parce que en relation avec un ordre supérieur puissant et souvent terrifiant d’existence, le "divin" et aussi... ce qui est rejeté, répréhensible (comme dans l’expression vulgaire moderne: "sacré pays!")
Il y a donc une ambivalence extrêmement significative car elle permet d’entrer dans le jeu de la double compréhension initiale de la mort dans cet univers religieux archaïque qui était entièrement marqué par les mythes, les rites et l’intégration cosmique (Homme et cosmos possédaient une unité). La mort me permet déjà de considérer un au-delà de ce monde naturel où on ne peut accéder qu’en tant que trépassé: c’est l’aspect supérieur, sacré: le corps humain exige une sépulture car, c’est à cette condition uniquement qu’il pourra accomplir la dernière finalité de l’être: accéder à un autre plan de l’être.
Il y a un autre aspect, négatif celui-là: si le personnage était frappé d’une exclusion, (d’ordre religieux, civique) d’une sorte de coupure d’avec le destin tant qu’il était vivant à cause d’une culpabilité quelconque, les rites funéraires et l’ultime devoir de la sépulture lui étaient enlevés... il était laissé à l’état d’exclu , personne n’avait le droit de l’enterrer, il était tué 2 fois et, dans ce contexte, le 2ème aspect négatif de la mort se laisse déjà entrevoir…
Pour la vision religieuse archaïque, la mort n’est jamais naturelle... toute mort est un meurtre (pas au sens physique), on meurt parce que, à un moment donné, quelque part, au-delà de la sphère visible naturelle de l’existence il y a eu un drame, un traumatisme qui a introduit la mort dans le monde... la mort est toujours une effraction: elle brise.
Résumons les 3 lignes de force qui pourraient nous faire comprendre, dans son ensemble, la vision religieuse de la mort…
1/ le 1er axiome est l’attitude religieuse de l’homme qui, la première, perçoit à tort ou à raison, l’aspect inacceptable de la mort: elle ne se résigne pas: toute mort est un meurtre et relève d’une sorte de catastrophe.
2/ Par suite, la mort ainsi entrée par effraction contamine tout l’ordre cosmique; c’est par ses rites que l’homme continue et entretient cet ordre... Donc, pour situer la mort, l’Homme a recours à des symboles, des catégories de connaissance et d’action que nous appelons globalement mythes et rites prélevés sur l’ordre cosmique: par exemple, les grands rythmes d’apparition et de disparition dans la nature: les rythmes agraires, ceux de l’astronomie…
Ce qui est important, c’est que la mort de l’être humain se situe à l’intérieur d’un cycle qu’on pourrait appeler: mort, renaissance... Le mort qui se trouve dans le tombeau ne disparaît pas totalement de l’"être"... celui-ci s’efface d’un certain plan de l’existence visible et il peut retourner à la vie, ailleurs. (v. mythes grecs: Déméter, mère de la végétation est captive 6 fois par an de Pluton, dieu de la mort, mais elle revient périodiquement). Ce qui nous intéresse, c’est que ce cycle comporte un passage: voici que, déjà, la mort est annulée à ce niveau-là d’une lecture première archaïque... elle ne fait que marquer le passage d’un niveau de l’être à un autre et ce passage se continue par un voyage: la mort, dans cette vision, débouche sur un itinéraire. Cet accès à l’au-delà se présente sous la forme d’un cheminement ayant ses règles propres, son tracé, ses problèmes, ses épreuves, qui sont exprimés dans cette symbolique de la mort et, qui plus est, permet à ceux qui communient avec le défunt de l’accompagner efficacement dans ce voyage, à travers un ensemble de gestes... sans cela, nous n’aurions jamais eu tout un domaine de la culture mondiale (Homère... Les tragiques... les romans d’initiation etc.) un décalqué, une imitation de cette première vision du voyage du défunt dans l’au-delà... Les héros antiques ressuscitaient aux Champs Élysées... de grands écrivains: Goethe, Novalis, Stendhal, Balzac ont sécularisé cette idée du voyage de l’être qui n’est pas "accompli" tant qu’il n’est pas passé par ce cycle: Mort-Renaissance.
Au-delà de ce cycle, il y a une vision très nette d’une immortalité acquise définitivement, la possibilité – notée assez tôt – pour l’Homme de la vision religieuse d’ accéder au-delà du cycle mort – renaissance, à une immortalité stable auprès du "divin".
Tout au début de cette mise en place, ceci était réservé à des êtres d’élite: héros ou demi-dieux (Héraclès, Achille...). On voit percer une 3e vision: accès direct et stable auprès du divin…
L’épopée de Guilguamech contient, à cet égard, des éléments extrêmement révélateurs.
Guilguamech part à l’aventure avec un ami, Inquidouh. Il cherche les défis les plus outranciers... A un moment donné, il s’attaque à un animal puissant, consacré à la déesse Ishtar (Venus) et le tue. Ishtar maudit Inquidouh qui avait surtout perpétré le meurtre du taureau céleste mais lui, ivre de sa victoire, arrache une cuisse et la jette devant la déesse en la couvrant d’injures... c’est un défi qu’il lance à la divinité. Ainsi, l’homme fort, conscient de son statut héroïque qui est celui d’aller jusqu’au bout de la plus extrême entreprise, défie la divinité: c’est le moment culminant et le prologue de la tragédie, La même nuit, Inquidouh rêve qu’il a été condamné par les dieux. Le lendemain, il tombe malade et s’éteint 12 jours après. Guilguamech, son compagnon et ami est très affecté... il devient méconnaissable... Pendant 7 jours et 7 nuits il pleure son ami et refuse l’enterrement... Il espère que ses lamentations sur son ami finiront par le ressusciter... Ce n’est qu’aux premiers signes de décomposition du corps que Guilguamech s’incline et Inquidouh est fastueusement enseveli... Guilguamech quitte la ville et erre dans le dessert en gémissant: "Ne vais-je pas mourir, moi aussi, comme Inquidouh?". Il est terrorisé par l’idée de la mort... les exploits ne le consolent plus... Dorénavant, son seul but est d’échapper au sort des humains, d’acquérir l’immortalité... et il apprend que le fameux Outnapichti, personnage fabuleux, rescapé du déluge, vit toujours et qu’il est gardien de la source de l’immortalité (la Jouvence...). Il décide d’aller le chercher et ici, commence son voyage initiatique dans l’au-delà... Cette épopée es une référence précieuse et on peut dire que toutes les religions archaïques constituées ont approfondi la vision religieuse de la mort selon les 3 lignes de forces précitées.
Parmi les plus importantes pour les religions modernes, car elle y a laissé son empreinte, c’est la religion égyptienne qui domine... Chez elle, l’au-delà de la mort s’amplifie jusqu’à devenir une sorte d’espace familier, bien jalonné, inventorié, avec tous les codes de passage nécessaires. Le voyage du défunt se fait en différentes étapes marquées par des rites commémoratifs à des époques fixées (3e - 9e - 40e jour après la sépulture). Au fur et à mesure que le souvenir de son existence terrestre commence à s’effacer, le défunt passe d’un niveau à un autre... même sous forme d’un autre être: langage symbolique qui propose un message.
Avec les égyptiens, en effet, l’idée d’une responsabilité personnelle après la mort, est présente... et se réfère au parcours terrestre: donc, la communication est possible entre l’en-deça et l’au-delà. On trouve dans le livre "Jugement des Morts" des phrases comme celles-ci: "Il a donné du pain aux affamés et de l’eau à ceux qui avaient soif... Il a vêtu ceux qui étaient nus... les Justes sont appelés à l’allégresse de la terre... Je n’ai pas fait pleurer, je n’ai causé de souffrance à personne etc …". Ces textes montrent que la mort est valorisée dans le sens qu’elle donne la possibilité de rendre éternellement compte de l’existence terrestre qui prend une ampleur d’éternité... L’abbé Breuil avait cette idée que Teilhard de Chardin devait reprendre à savoir l’idée mégalithique, suggérant que nous vivons tous encore quant à notre sens profond de l’existence, sur ce premier déchiffrement du monde que noue associons à la civilisation mégalithique et que nous retrouvons dans maints ouvrages (le livre (tibétain) de l’Entre deux par exemple).
Dans la religion juive, l’au-delà était très confusément perçu mais il y a eu, à un moment donné, une sorte d’intuition nouvelle qui este surgie avec la révélation prophétique, quant au sens sacré de la mort. Dans cette religion légaliste si l’on touchait un cadavre, on devenait impur. Or, à partir d’un certain moment, on voit se formuler une prescription de grande signification et de grande beauté appelée:
miséricorde de vérité
qui présentait comme un devoir premier l’action de donner sépulture à un corps abandonné ou étranger (Haceldama: le prix du sang... pour la sépulture des étrangers).
Les étrangers étaient ceux qui étaient abandonnés, n’avaient pas d’intégration: ils étaient ainsi abandonnés non au droit et à la loi mais à la miséricorde de vérité. (Dans la prescription légale juive on parle d’une miséricorde de paix, présente dans la Liturgie chrétienne, d’une miséricorde de louange celle de l’office religieux...). Cette miséricorde de vérité l’emporte sur les autres comme le marque le texte hébraïque: "même si le jour le plus saint de l’année, le jour du Pardon, le grand prêtre, en se dirigeant vers le Temple pour accomplir la miséricorde de paix ou la miséricorde de louange rencontre un cadavre abandonné d’étranger, il doit accomplir la miséricorde encore plus grande, celle de vérité: l’enterrer avant de se rendre au Temple, et il ne sera pas impur. Cela est assez curieux et en peut comprendre alors pourquoi le Seigneur, dans la parabole du Samaritain miséricordieux reproche au lévite de n’avoir pas accompli cette miséricorde de vérité... et cela nous introduit de nouveau dans le domaine du "sacré" de la mort.
Avec ceci, l’humanité se trouve à peu près aux alentours du surgissement du message chrétien, qui vient, d’emblée, se situer au centre de notre thématique, car son message est, avant tout, un message de Résurrection.
VI - Le tombeau vide
La Résurrection: la mort prise au sérieux par Dieu. Le Christ, parole de Vivant.
La Résurrection du Christ est un signe unique qui ne sera pas et ne peut être répété et qui ne peut être l’apanage de quelqu’un d’autre: "Il ne sera fait qu’un seul signe qui est celui de Jonas".
Il s’agit donc de/voir / restituer, dans un langage conceptuel, le sens de la mort à l’intérieur de la révélation christique.
Ce qui, en premier lieu, est frappant, c’est que, dans le Christ, en tant que personne vivante, exprimant sa conscience de soi et de sa fonction, en trouve l’évidence du fait que
la mort est l’affaire de Dieu.
Toute autre vision, toute autre conception, sans être nullement fausses en soi, ne peuvent être que partielles; la mort, en tant que réalité totale s’étend au-delà de toutes ces approches humaines, y comprise l’approche religieuse, et tout en les englobant, plonge sa signification propre dans un domaine qui est effectivement celui de l’œuvre de Dieu. Dans quel sens ?
1/ Il n’y a pas, en Dieu de pulsion de mort. Le Christ pose carrément cette affirmation révolutionnaire: Dieu ne peut "composer" avec la mort et celle-ci avec Dieu, dans le Christ... Il y a: incompatibilité, incompossibilité entre Dieu et la mort.
2/ Quand même, la mort existe et, dans la vision christique, on peut retrouver la confirmation à un niveau autrement suprême de tous les pressentiments antérieurs; la mort ne se réduit pas, face à Dieu, au simple accident de l’usure du composé terrestre de l’Homme... mais, entre Dieu et l’homme, il y a eu une sort de détour... quelqu’un a tourné le dos à l’autre…
Avant tout, Dieu est vie: "Je suis venu, non pour juger le monde, accomplir une œuvre de rigueur... mais pour le sauver!". La mort ne peut être que la résultante d’une rupture de la communication de vie qui se faisait entre Dieu et l’Homme.
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Homme
Nature Humaine
Virtuellement susceptible de mourir
mais
pas tenu à mourir |
Les deux sont différents par nature... par là ils ont ont la possibilité d’être plus proches
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Dieu
Nature divine
essentiellement Vie |
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communication |
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tant que l’Homme est ouvert à Dieu il ne peut y avoir de mort de l’Homme |
Si la mort s’est introduite, elle ne l’a pas fait en tant que phénomène naturel mais c’est que, à un moment donné, un visage s’est obscurci, détourné de l’autre, et que, ce qui s’est produit, relève d’un autre aspect que celui de l’"être" c’est celui de
la liberté
La mort est le résultat d’une aliénation, d’un éloignement... Dans la mesure où j’ai détourné mon visage, j’ai donne une autre direction à ma liberté que celle, première, de reconnaître le visage de Dieu, source de vie. Je me suis aliéné, à la fois de cette source de vie et de ma propre destinée (rester en vie)... c’est cela qu’on présente vulgairement (pas faussement) comme péché originel... Et ce concept d’aliénation est toujours actuel…
Quand les marxistes veulent présenter une œuvre de mort ils parlent d’aliénation: l’aliénation de la classe ouvrière par les capitalistes... des peuples colonisés par les impérialistes...; même ceux qui disent qu’ils n’ont rien à voir avec l’Église parcourent le même chemin d’analyse et de compréhension…
Dans cette aliénation de la liberté qui détourne l’homme de sa référence première de Vie, je retrouve les limites de mon être en soi... être épuisable, usable, destiné à la mort... Et quand je m’éveille à cette conscience du néant en moi, je perçois cette angoisse qui a un double sens: c’est la montée du néant (négatif) et cela me ramasse de la dispersion, de l’insouciance, de l’indifférence et me permet de prendre conscience de ma condition authentique (positif). Ce qui me fait mal dans la mort, c’est qu’elle obscurcit l’œuvre de Dieu et même, en quelque sorte, son être puisque c’est avec Lui que je devais toujours être en communication. Mort = trace de l’échec de Dieu qui est assumé dans la personne du Christ par Dieu lui-même: toute son existence est finalisée par la mort (négatif).
Cependant cette mort a aussi un sens positif entre les limites de la condition créée du cosmos... Elle ne peut dire "Que le néant soit!" elle ne peut que "parasiter" l’être, et en le détruisant, elle se détruit elle-même: elle ne peut pas régner absolument, elle doit reprendre, à chaque instant, son œuvre destructrice avec chaque être individuel mais la mort disparaît avec cet être... Elle en reprendra un autre, l’instant d’après ou demain et il y a une durée de tension entre la vie et la mort et la mort qui est le signe d’une valeur absolue est aussi celle qui empêche, de par son œuvre, de régner absolument... elle ne peut que régner provisoirement à l’intérieur d’une existence individuelle. Or, voici le Christ dont toute la révélation est finalisée. Un évènement est le centre de toute son œuvre: c’est la Résurrection.
Nous avons toujours tendance à limiter la Résurrection à l’évènement en soi, tel que notre imagination nous le propose. Ce n’est pas cela, la vision que nous livre la véritable compréhension du message du Christ…
La Résurrection présente un double aspect: celui d’un évènement concernant la personne concrète, historique, de Jésus dans son parcours... mais la Résurrection n’aurait guère de sens si l’évènement lui-même n’ouvrait la perspective du dessein total de Dieu.
Dans la Résurrection, en effet, Dieu est en train d’entreprendre une conquête nouvelle... Dans la Création, Il était seul: c’était une ouvre qui ne se référait qu’à Lui... La mort est une œuvre qui réfère à ce partenaire de Dieu qui est l’Homme mais que Dieu prend en charge. Dieu este donc en train, dans la révélation du Christ, de remédier à un double échec: l’échec premier de l’homme et, à travers l’homme, l’échec de l’amour de Dieu, de la liberté de Dieu, de la confiance que Dieu fait à l’homme... Par la mort de Jésus Christ Dieu reprend donc en charge la création tout entière.
Il y a là une profondeur d’essence incroyable... Toutes les religions du monde butaient sur la mort... elles étaient impuissantes à faire le lien entre un Dieu Vivant et le scandale de la mort. Ce qui nous contrarie, nous semble outrageant, injuste dans la condition humaine c’est que l’homme pourrait toujours crier à la limite, à la face de Dieu, sa révolte justifiée car, on a beau dire, Dieu ne meurt jamais!... Dieu ne peut assumer l’échec de l’être concernant la mort physique, la douleur, la souffrance, le scandale, l’écrasement du Juste, toute l’œuvre de la mort avant la consommation physique de la mort individuelle... Ivan Karamasov disait "C’est peut-être le mystère de l’athéisme... l’athée pourra toujours dire à Dieu: moi, je ne veux pas du bonheur humain s’il est basé sur le meurtre d’un enfant de 5 ans!"... Il y avait là quelque chose qui n’était pas encore "réglé" entre Dieu et l’homme... l’homme qui souffrait, se révoltait mourait... et un Dieu qui pouvait lui envoyer de loin sa consolation mais ne participait pas effectivement à cette condition de l’échec de
l’Homme …
Avec Jésus, Dieu; par l’Incarnation, de l’intérieur de la nature humaine telle qu’elle est, vouée à la mort, refait l’expérience du créé et Dieu lui-même "s’engouffre" dans la mort: "Aujourd’hui celui qui a suspendu le monde sur les eaux est suspendu sur la Croix, aujourd’hui, celui qui est immortel, meurt" (Liturgie).
Ainsi, par la Résurrection, Dieu restitue à l’Homme, l’espace arraché par cette aliénation première qui avait introduit dans le monde le règne de la mort …
Dans cette perspective, la mort est transfigurée. Avant la Résurrection du Christ, toute naissance conduisait inévitablement à la mort: donc, la vie était pour la mort; maintenant, la mort est retournée: elle n’est que le signe, le vestige dépourvu de contenu, de puissance... vidée de substance mais encore présente en tant que vestige... le vestige d’un ordre révolu où la vie était destinée à la mort... Dans la perspective christique, c’est juste le contraire: la mort, en tant que phénomène est porteuse de vie, transfigurée... Comment cela?
Par la foi
"Si le Christ n’est pas ressuscité, ma foi est vaine!" (St Paul).
Avoir la foi, ce n’est pas exprimer un Credo par la parole... ni adhérer à ce corps social qu’est l’Église... Avoir la foi ce n’est pas porter une carte d’identité avec le titre de Chrétien (encore moins!).
Avoir la foi, c’est entrer en relation vivante avec la Résurrection du Christ, c’est laisser la Résurrection envahir mon être à tel point que, le moment n’étant pas encore venu pour la résurrection de l’ensemble du cosmos, dans la mesure où je me greffe sur le Christ et son destin, l’œuvre de la Résurrection s’accomplit en moi... je suis envahi par elle... et, en moi, croyant, la mort est transfigurée... elle n’est plus œuvre de mort, elle est œuvre de vie!
A un autre point de vue, en pourrait ajouter quelques mots sur la représentation de la Résurrection afin de rectifier peut-être notre vocabulaire et notre imaginaire. Nous imaginons souvent la Résurrection en termes de: retour à la vie, de réanimation du corps... Or, il ne s’agit pas de résurrection dans le corps mais de la résurrection du corps: c’est différent!... Quand on dit: résurrection dans le corps, on entend par la: réanimation: le corps qui, jusque là était sans âme, revient à la vie... Quand on dit: résurrection du corps: le corps passe à un autre niveau d’ être où il n’est plus tenu par les deux conditionnements essentiels de la réalité naturelle: l’espace et le temps. C’est pour cela que le corps ressuscité du Christ peut passer à travers les portos fermées, porter les traces de ses plaies: c’est le même et c’est un autre.
Le corps du Christ est totalement pris en charge par la condition de la Résurrection qui est au-delà du temps et de l’espace …
La victoire absolue du premier dessein de Dieu: l’interpénétration totale entre l’Homme et Dieu qui avait été brisée par la mort et qui s’accomplira à la fin pour tout le monde, s’est accomplie à un moment donné et à un lieu déterminé de l’Histoire dans la Résurrection du Christ. C’est pour cela que le Christ est présenté dans tout le message chrétien comme le premier-né des morts, celui qui a précédé tous ses frères... autrement dit, l’eschatologie a déjà touché l’Histoire dans un endroit qui s’appelle Jésus Christ.
"La mort a été engloutie par la vie".
Il reste que, chacun de ceux qui adhèrent au Christ le sentent le vivent et l’expriment, Nietzsche faisait le procès des "mauvais" chrétiens quand il disait: "Quand en les regarde, on ne dirait pas qu’ils sont ressuscités!".
Avoir la foi, c’est entrer dans une sorte d’expérimentation de la Résurrection, tout comme il y avait une science expérimentale de la mort. La foi, prise au sérieux, c’est exactement la compréhension totale de la parole du Christ: "Celui qui croit en moi ne mourra pas!".
(les sceaux étant apposés, le corps a traversé la pierre: analogie avec le germe qui perce l’écorce et devient plante, avec la chenille qui devient chrysalide puis papillon... Est-ce le même corps? Oui (il a gardé ce qui constitue son être profond). Non (il a tellement changé!)
"Jo suis le Dieu des Vivants!"
Université Saint Joseph
Faculté de Sciences Religieuses
Cours du P. André SCRIMA:
"La mort: passage ou limite?"
1977-78
Aperçu Bibliographique
Paul-Louis LANDSBERG: Essai sur l’expérience de la mort. éd. du Seuil, Paris 1976
Léon I. CHESTOV: Les_Révélations de la mort. éd. Plon, Paris 1958
Vl. JANKELEVITCH: La Mort, éd. Flammarion, Paris 1966
Jacques CHORON: La mort et la pensée occidentale, éd. Payot, Paris 1969
Philippe ARIES: L’Homme devant la mort, éd. du Seuil, Paris 1977
Philippe ARIES: Essais sur l’histoire de la mort en Occident du M. Age à nos jours, éd. du Seuil, Paris 1975
Ernst BLOCH: L’Esprit de l’utopie, éd. Gallimard, Paris 1977
Simon MONNERET: Vivre sa mort, éd. Denoël, Paris 1978
COLLOQUE SUR LA VIE APRÈS LA MORT, éd. Labergerie, Paris - Genève, 1967
Mircéa ELIADE: Yoga, Liberté et immortalité, éd. Payot (Petite Bibliothèque), Paris 1975
LE JUGEMENT DES MORTS, éd. du Seuil (coll. Sources Orientales, No. 4), Paris 1961
Paul CHAUCHARD: La Mort, PUF (coll, "Que sais-je?", no. 236), Paris
COLLOQUE SUR LA MORT AUJOURD’HUI, éd. Anthropos, Paris 1977
Jean BAUDRILLART: L’échange symbolique et la mort, éd. Gallimard, Paris 1976
Léon SCHWARZENBERG et Pierre VIANSSON-PONTE: Changer la mort, éd. Albin Michel, Paris 1977
Fr. X. DURWELL: Le mystère pascal, éd. Ouvrières, Paris 1970
LA RESURRECTION DU CHRIST ET L’EXÉGÈSE MODERNE, éd. du Cerf 1969
LUMIÉRE ET VIE (revue publiée par les Dominicains de Lyon): La mort du Christ (no. 101); La Résurrection (no. 120)
RESURREXIT. - Actes du Symposium international sur la résurrection de Jésus, Rome 1974